Opinion Nadia El-Mabrouk

Osons la cohérence

Le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx a annoncé sa volonté d’instaurer, dès la rentrée scolaire 2018, un apprentissage obligatoire en éducation à la sexualité tout au long du primaire et du secondaire. On ne peut que se réjouir d’une telle initiative. La vague de dénonciations pour agressions sexuelles qui a déferlé sur le Québec et partout dans le monde témoigne de l’urgence d’agir en ce sens et d’inculquer des relations saines entre les garçons et les filles.

Mais sur quel contenu reposera cette éducation à la sexualité ? Sera-t-elle basée sur des connaissances scientifiques validées ? Permettra-t-elle un apprentissage d’une sexualité égalitaire et non stéréotypée ? À plusieurs reprises, mes enfants m’ont fait découvrir des films et des vidéoclips vus à l’école transmettant une vision dégradante de la femme. La moindre des choses serait de s’assurer que de tels contenus sexistes ne circulent pas dans nos écoles, du moins sans être accompagnés d’un discours critique. Mais l’incohérence ne s’arrête pas là.

L’ambivalence de l’école publique sur l’égalité des femmes

La logique voudrait que l’ensemble des cours offerts à l’école reflète le droit à l’égalité. Or le cours Éthique et culture religieuse (ÉCR) ne respecte pas cette obligation dans sa partie « culture religieuse ». Selon l’avis du Conseil du statut de la femme (CSF) sur l’égalité entre les sexes en milieu scolaire, le programme et les manuels du cours ont pour effet de véhiculer le sexisme des religions.

Les normes religieuses, telles que l’interdiction des relations sexuelles hors mariage, y sont valorisées et présentées comme des facteurs positifs de stabilité sociale, en évitant de mentionner le poids particulier qu’elles font peser sur les femmes.

La polygamie, la répudiation, les inégalités en cas de divorce sont ignorées, tout comme l’obsession de la virginité des femmes et les conséquences sur leur intégrité physique telles que l’excision. De plus, des exemples de banalisation de certaines pratiques rétrogrades comme le voilement des petites filles ou le mariage précoce se retrouvent dans les manuels scolaires du cours. La reconnaissance de telles pratiques, sans contextualisation critique et sans prise en compte de la lutte des femmes pour leur autonomie, a pour effet de fragiliser nos acquis en matière d’égalité.

À la suite des critiques émises par le CSF en novembre 2016, le ministre Proulx s’était engagé à revoir le cours ÉCR. Depuis, nous n’en avons plus entendu parler.

Par ailleurs, comment concilier une éducation sexuelle égalitaire avec la présence d’enseignantes et d’éducatrices voilées ?

Selon la sexologue Jocelyne Robert, le fait de côtoyer quotidiennement une femme voilée a une incidence sur la représentation que se fait l’enfant de l’être et du corps féminins. « Les femmes doivent se comporter différemment surtout en présence d’hommes » est le message transmis quotidiennement par le voile aux enfants. D’après Pierrette Bouchard, professeure en sciences de l’éducation à l’Université Laval, « une fois le voile accepté, il est facile d’imposer toutes les autres formes de discrimination contre les femmes et les filles ».

D’un point de vue symbolique, le voile renvoie une image stéréotypée de la femme réduite à ses attraits sexuels, et renforce chez l’homme une vision dominatrice de lui-même. De plus, il contribue à classer les femmes en « filles bien » et les autres, celles « pas habillées de la bonne façon ». Cet argument trop souvent entendu pour justifier des cas de harcèlement sexuel n’est pas acceptable. Il serait temps d’aborder de front le cas du voile à l’école.

Une éducation sexuelle assumée

Il faut reconnaître qu’aborder le thème de la sexualité n’est pas une tâche facile. La sexualité, le plaisir ou même la tendresse et l’amour sont des sujets tabous que plusieurs refusent d’aborder ouvertement. « Faites ce que vous voulez, mais faites-le en cachette » est la norme dans bien des cultures où le droit des femmes à la sexualité n’est pas reconnu.

Il faut se rappeler qu’en Ontario, les cours d’éducation sexuelle ont été fortement contestés, notamment par des parents musulmans de l’école Thorncliffe Park affirmant que le cours était contraire à leurs valeurs. Ici même au Québec, certains sujets restent sensibles. Tout récemment, à Sherbrooke, la plainte d’un seul parent a suffi à faire retirer des ateliers portant sur l’homosexualité donnés par Prima Danse, une association utilisant la danse comme moyen d’expression. Le gouvernement va-t-il faire respecter l’aspect obligatoire du cours sans céder aux pressions de parents trop puritains ni aux sirènes du relativisme culturel ?

Un plan global courageux doit être mis en place pour inculquer à nos jeunes une éducation sexuelle égalitaire. Pour ce faire, il faut miser sur des apprentissages dispensés par des sexologues professionnels qui soient en mesure de répondre adéquatement à toutes les questions. Mais il faut avant tout miser sur la cohérence en s’assurant que l’école soit exempte de stéréotypes sexuels.

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