Chronique

Personne n’est content. Bonne chose !

La diplomatie a ses codes… qu’il faut apprendre à déchiffrer. Car une chose peut vouloir dire son contraire. Des félicitations peuvent dissimuler des accusations. Une tape dans le dos peut cacher un coup de poignard.

Prenez la conférence de Paris. Selon l’ONU, elle se termine aujourd’hui, 11 décembre 2015. Mais ce qu’on veut vraiment dire, c’est l’inverse ! Elle débute aujourd’hui… sans que personne ne sache quand, au juste, elle se terminera.

Pas pour rien que la carte de métro offerte aux délégués est bonne jusqu’à dimanche minuit…

« La vraie COP commence, explique Géraud de Lassus St-Geniès, spécialiste du climat à la faculté de droit de l’Université Laval. Jusqu’ici, on donnait dans le massage de texte, dans les grandes déclarations de principes. Ça, c’est terminé. On entre maintenant dans le dernier droit, qui ressemble souvent à de la tragédie grecque… »

C’est en effet une figure imposée dans ce type de négociations. Les délégués se retrouvent désormais en plénière pour décortiquer le plus récent projet d’accord, qui contient maintenant 27 pages et très peu de crochets. Ils sont donc prêts à travailler toute la nuit, comme ils l’ont fait la nuit précédente en y allant chacun de sa déclaration dramatique.

Le délégué de la Barbade a haussé le ton, en pleine nuit hier, en qualifiant l’accord de « grave injustice pour les pays qui portent le poids des changements climatiques ». Son collègue indien a renchéri en affirmant que le texte « met les pollueurs et les victimes sur le même plan ».

Pourtant, la toute dernière mouture du projet d’accord n’a rien d’apocalyptique. On n’est pas loin de l’« accord de compromis ambitieux », souhaité par le président de la COP, Laurent Fabius. On n’est pas loin d’un « accord équilibré », comme a dit le délégué de la Malaisie.

« La preuve, a-t-il ajouté, personne n’est content ! »

Dans les faits, à ce stade-ci des échanges, il y a suffisamment d’éléments ouverts dans le projet de texte pour que les délégués repartent avec le sourire.

« Il y a de l’ambition, il y a une reconnaissance de l’urgence d’agir, admet Patrick Bonin, de Greenpeace Canada. Mais il faudra voir si ça se matérialise dans les faits, et ce n’est pas encore évident. Il reste encore beaucoup de travail à faire. »

Concrètement, trois éléments sont en suspens : la cible, l’effort et le financement.

La cible : avec les engagements sur la table, on se dirige vers un réchauffement de 3 degrés. Serait-il possible de réorienter notre trajectoire pour le limiter à 2 degrés, voire 1,5 degré ? Et si oui, peut-on se fixer des objectifs de réduction de gaz à effet de serre conséquents ? C’est le plus important symbole de la COP21. S’il n’y a pas de mention du 1,5 degré dans l’accord final, ce sera le coup de blues, peut-être même l’échec.

La répartition des efforts : qui devra réduire ses émissions, au juste, et à quel niveau ? Sachant que la Chine et l’Inde sont parmi les plus gros pollueurs du monde, les pays industrialisés ne veulent pas être seuls à réduire leurs gaz à effet de serre pendant que leurs nouveaux compétiteurs en profitent. Bref, ils ne veulent pas être les dindons de la farce.

Le financement : qui doit contribuer, et à quelle hauteur ? Les pays vulnérables souhaitent que la somme de 100 milliards, promise par les pays riches à Copenhague pour 2020, soit revue à la hausse par la suite. Ils espèrent aussi que les pays émergents comme la Chine y contribuent.

Voilà pourquoi la conférence risque de se prolonger jusqu’à demain, voire jusqu’à dimanche…

« Il y a encore beaucoup de travail à faire, note Patrick Bonin. Il y a une vision à long terme, oui, il y a des avancées intéressantes sur le financement, mais il manque des éléments. La révision des cibles de réduction des gaz à effet de serre aux 10 ans ou 15 ans, par exemple, c’est trop long pour espérer se maintenir sous le 1,5 degré. »

Mais au-delà des détails, tout le monde s’attend, désormais, à ce que le futur accord de Paris soit adopté, même si personne ne sait encore quelle forme définitive il prendra, sinon celle du compromis. « Ce qui implique par nature de renoncer à quelque chose pour soi, dans le but d’atteindre ce qui est souhaitable pour tous », a indiqué hier soir le président de la COP, Laurent Fabius.

Les négociateurs sont donc satisfaits du déroulement de la conférence jusqu’ici. Même si, en façade, personne n’est content. Ça fait partie des codes à déchiffrer.

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