OPINION PASCALE NAVARRO

De la politique entre femmes

Le 13 juin dernier, j’écrivais dans ces pages que le Conseil consultatif sur l’égalité des sexes, mis sur pied par le gouvernement du Canada lors du G7, était une bonne idée. J’émettais quelques réserves, mais je pensais, et c’est encore le cas, que ce type d’action à visée internationale peut donner de bons résultats. Peut-être même donner un nouveau souffle à la politique.

Briser le moule

La ministre des Affaires étrangères du Canada Chrystia Freeland semble partager cette idée que des femmes peuvent porter un regard particulier sur les enjeux politiques internationaux. On a d’ailleurs appris, le 18 juillet, son intention de rassembler les femmes ministres des Affaires étrangères d’une vingtaine de pays pour une sorte de sommet politique féminin. Cette rencontre aura lieu les 21 et 22 septembre à Montréal.

Cette initiative séduit de bien des manières, mais souligne à mes yeux un progrès pour les politiciennes, car la ministre Freeland assume totalement le fait d’être une femme : cela peut paraître anecdotique, mais c’est tout le contraire.

En effet, bien des politiciennes essaient le plus possible d’écarter le fait d’être femme de leur image parlementaire. Elles disent être présentes comme « personne » politique, comme députée, mais certainement pas comme « femme ». J’ai entendu ça des dizaines de fois dans les rencontres politiques où les femmes devaient se prononcer sur les quotas, par exemple. Être une femme politique, c’est embêtant quand le moule n’est pas fait pour vous. Vous êtes toujours l’intruse.

Mais ça commence à changer, enfin.

Projet rassembleur

Le porte-parole de la ministre, Adam Austen, se méfie avec raison de l’« essentialisation » de cette conférence, au sujet des femmes politiques. Il assure que « la ministre ne s’attend pas à ce que toutes les femmes aient les mêmes idées et les mêmes convictions ». Il n’y a pas d’essence féminine non plus.

On est toutes bien d’accord. Cela dit, les femmes sont socialisées de telle manière qu’elles peuvent créer des liens et se reconnaître dans de nombreuses situations (il suffit de penser au nombre de femmes victimes de violences sexuelles dans le monde) et dans les rôles qui leur sont dévolus par leurs sociétés respectives. C’est cette perspective féministe que souhaitent développer la ministre et sa collègue Federica Mogherini, politicienne italienne et aujourd’hui représentante des affaires étrangères de l’Union européenne (UE qui compte d’ailleurs un groupe appelé le Lobby européen des femmes), également impliquée dans ce projet.

Les perceptions sont en train de changer. À titre d’exemple, Adam Austen mentionne que, depuis que le gouvernement Trudeau mène une politique étrangère ouvertement féministe, de plus en plus de pays envoient des ambassadrices au Canada.

Il faudra voir pour le reste, et les dossiers sont lourds : terrorisme, sécurité et paix, changements climatiques, et nous pourrions ajouter traite des personnes et mondialisation de l’exploitation sexuelle. Lors de ce sommet Freeland, il sera fort intéressant de suivre les discussions sur ces enjeux internationaux. Quel point de vue auront les femmes ministres sur ces débats ? Quelles valeurs partagent-elles, comme femmes, et qu’est-ce qu’elles peuvent mettre en œuvre de manière solidaire pour aider les citoyennes de leurs pays ?

Par exemple, est-ce qu’une perspective féministe peut influencer le cours de négociations de paix ? De quelle façon ? C’est une première rencontre qui pourrait s’avérer fertile et innovatrice pour d’autres sujets comme l’économie, les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle, domaines en pleine croissance, mais dans lesquels les femmes sont bien peu nombreuses.

Des exemples d’Afrique

Bien sûr, il y a longtemps que les femmes de la société civile travaillent à améliorer le sort de leurs concitoyennes à l’international. Or c’est une autre chose de voir les élues de plusieurs pays se rallier autour de ce but. La candidate dans Charlesbourg pour Québec solidaire, Élisabeth Germain, se réjouit aussi de l’initiative, et expliquait sur sa page Facebook que des femmes peuvent jouer un rôle déterminant, comme elle l’a vu en Guinée. « Ces années-là, des guerres faisaient rage au Liberia, en Sierra Leone et dans l’ouest de la Guinée. Impitoyables. Tueries, mutilations, viols. Des femmes des trois pays se sont réunies et ont pris l’initiative de négociations qui ont finalement mené à la paix. Elles ont d’ailleurs reçu un prix de l’ONU en reconnaissance de leur action. D’autres initiatives de femmes pour la paix ont fait une différence majeure dans des conflits de même genre à travers le monde. »

Selon madame Germain, les femmes sont « motivées » en raison, justement, de leur socialisation, et de la « responsabilité des soins à leurs proches ou aux personnes vulnérables ».

On pourrait dire que mesdames Freeland et Mogherini créent de grandes attentes, mais elles donnent aussi de l’espoir.

Plutôt que de voir cette orientation politique comme du populisme rose, mieux vaut y voir une stratégie féministe qui permettra de réseauter des femmes différentes vers des objectifs communs.

On attend la suite avec impatience.

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