Témoignage santé mentale

Le diagnostic était sans appel

J’ai toujours pensé qu’on naissait avec une maladie mentale, ou encore que ça nous frappait à 40 ans, pris dans l’étau de la conciliation travail-famille et dans la prise de conscience que la vie nous file entre les doigts.

À 23 ans, je me pensais invincible, immortelle et capable de relever n’importe quel défi sans attention particulière à mon bien-être. Et pourquoi pas ? Ma carrière est bien lancée – j’ai été recrutée par l’un des plus grands cabinets de conseil du monde, qui m’a même invitée à me joindre à son bureau de New York –, je suis bien entourée et ma santé physique est excellente !

Quand le médecin m’a révélé mon diagnostic, j’ai eu honte. J’avais l’impression que c’était un signe de faiblesse, d’échec même. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais besoin de temps de repos, à mon âge ! Et je me suis sentie aussi très seule.

Le diagnostic était pourtant sans appel : « trouble d’adaptation avec anxiété ». Grosso modo, mon niveau d’anxiété était aussi élevé que si j’avais été poursuivie par un meurtrier… alors que je n’étais qu’au travail.

Cela s’est passé un lundi matin. En route vers le boulot, je me rappelle m’être dit que c’était comme remettre les pieds dans un cauchemar sans fin.

Mais bon, il y avait du travail à faire, et tout plein. Alors, j’ai pris le peu d’énergie qu’il me restait, j'ai ravalé mes larmes et j'ai pénétré dans l’immeuble. À peine avais-je ouvert mon ordinateur que j’ai commencé à me sentir étourdie avec plein de picotements sur les bras et autour de la bouche. J’ai bu de l’eau, mangé… rien n’aidait. Je m’efforçais tant bien que mal de camoufler mon malaise à mes collègues – j’avais ma fierté.

Mais cinq heures plus tard et toujours incapable de travailler, j’ai dû me rendre à l’évidence que je n’accomplirais rien ce jour-là. Je me suis excusée et ai embarqué dans un taxi, direction la clinique. Je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer dans le taxi. Mes nerfs me lâchaient et j’étais épuisée. À la clinique, alors que j'étais encore en sanglots, le médecin m’a annoncé que je venais d’avoir une crise de panique.

Ignorer les signaux

Vous pensez que j’aurais pu le voir venir : je m’étais retrouvée à plusieurs reprises aux toilettes après des crises d’anxiété, les larmes me montaient souvent aux yeux, j’avais attrapé plusieurs rhumes et eu une forte fièvre et j’étais incapable de me concentrer. Mais j’ai volontairement ignoré les signaux d’alarme. Je suis jeune, après tout ! Et j’étais totalement certaine de m’en sortir.

Cela fait presque un an. Retourner au travail n’a pas été facile. J’étais traumatisée. Chaque situation me rappelant mon incident provoquait une crise de panique : marcher dans le bureau, voir mes collègues, recevoir des courriels, etc. J’ai dû réapprendre à gérer le stress.

Qu’est-ce qui a changé depuis ? Rien et tout.

Rien, parce que je suis retournée au même travail avec autant d’heures et d’exigences, et autant d’ambition. Ralentir n’est pas la recette universelle du bien-être.

Et puis tout, parce que ma perspective sur comment je veux accomplir mes rêves a évolué.

Je suis plus consciente que ma performance professionnelle n’est pas une question d’heures, mais une question d’heures productives.

J’ai réalisé que je ne stimulais mon cerveau qu’intellectuellement, alors qu’il a aussi besoin de socialiser, jouer, refléter sur soi.

Aussi, différentes activités requièrent différents niveaux d’effort mental. Par exemple, être créatif demande plus d’énergie qu’exécuter. Depuis, je me couche plus tôt la veille de présentations importantes et je priorise l’activité physique, entre autres choses. Puis en tant qu’introvertie, travailler de la maison certains jours m’aide à optimiser mon niveau d’énergie.

Bref, en gérant plus intelligemment « mon système », j’ai amélioré mes performances au travail et mon bien-être.

Surtout, j’ai appris à en parler – c’est très thérapeutique ! Quand je me sens anxieuse, j’appelle un proche. Cela m’est déjà arrivée de demander simplement : « Tu pourrais me rappeler pourquoi je stresse pour rien ? Je n’arrive pas à dormir. » Nous vivons tous des situations stressantes, mais rarement nous mettons-nous en position de vulnérabilité. Chercher de l’aide, c’est cela, la vraie force.

Si j’ai pris le temps d’écrire ces quelques lignes, c’est parce que récemment, une amie m’a remerciée de lui avoir confié mon histoire. Elle m’a dit que ça l’avait aidée. La maladie mentale prend différentes formes. Il y a tant à faire pour la démystifier. Je me suis dit que si moi, invincible et immortelle jeune professionnelle, je faisais part de mon expérience, ça ne pourrait qu’aider.

Prenez soin de vous !

* Anne-Sophie Martin est présentement au Kenya pour un projet de trois mois afin de vaincre la discrimination par l’éducation.

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