Opinion  Sylvain Charlebois

Fixation des prix
Du pain sur la planche

Cartel, disputes et abus de pouvoir : l’année commence mal pour le secteur de la distribution alimentaire, et un chèque-cadeau de 25 $ ne réglera pas grand-chose.

Dans la foulée du scandale provoqué par l’aveu de Loblaw-Provigo qui se prêtait à un complot de fixation de prix du pain avec Weston Bakeries, les Canadiens ont droit à un chèque-cadeau de 25 $ depuis le 8 janvier.

Bref, l’entreprise demande pardon pour avoir imposé son influence sur les prix du pain au détail, de 2001 à 2015, pendant 14 ans. Le 19 décembre dernier, tard dans la journée, lorsque la majorité des Canadiens s’affairaient aux préparatifs pour les festivités de fin d’année, Loblaw-Provigo larguait sa bombe en avouant que Weston Bakeries, une filiale appartenant au même conglomérat que Loblaw-Provigo, avantageait le distributeur au détriment des autres concurrents, tels que Sobeys-IGA et Metro ; une pratique illégale au Canada.

La stupéfaction s’installe au sein de l’industrie. Du même coup, Loblaw-Provigo associait ce problème à l’ensemble de l’industrie en laissant planer subtilement que Sobeys-IGA et Metro faisaient aussi partie de ce stratagème, impliquant en quelque sorte une culpabilité par association.

Depuis cet aveu, les poursuites se succèdent. Jusqu’à maintenant, deux recours collectifs s’ajoutent aux multiples critiques à l’égard du géant de l’alimentation. Ses rivaux, Sobeys-IGA et Metro, ont rapidement réagi en critiquant à leur tour le message hautain de Loblaw-Provigo.

D’abord, il faut clarifier une chose. Dans toute cette histoire, les 25 $ offerts aux Canadiens ne sont qu’un symbole qui ne règle pas grand-chose.

Puisque les marchands utilisent souvent le pain à titre de produit d’appel (loss leader), ce stratagème n’a rien à voir avec le gonflement des prix à la consommation, comme c’est le cas pour certains autres produits. D’ailleurs, le pain au Canada se vend de façon générale moins cher qu’en 2013. Il devient alors difficile de voir comment le consommateur a pu être berné financièrement par toute cette histoire.

Pour les deux entreprises, il fallait mieux gérer les marges et anticiper les fluctuations de prix, purement et simplement ; un outil essentiel à la survie d’entreprises qui gèrent des marges d’à peine 1 %. L’influence que peut exercer le duo Loblaw-Weston est telle qu’elle peut créer des mouvements de prix à la hausse ou à la baisse, forçant ainsi les concurrents à emboîter le pas.

Autrement dit, Loblaw et Weston ont altéré les conditions du marché parce qu’ils avaient la capacité de le faire. Sobeys-IGA et Metro, moins verticalement intégrés, minimisent ainsi leur capacité d’influencer quoi quece soit. Sous-jacent à la carte-cadeau de 25 $ se cache un problème beaucoup plus complexe entraînant des répercussions bien plus graves qu’à première vue. Pour en rajouter, Loblaw, de façon implicite, mentionnait que Sobeys-IGA et Metro étaient tout aussi coupables. Quel culot !

Des questions sans réponses

Mais plusieurs questions demeurent sans réponse. Loblaw a pris la sage décision d’y aller avec un mea-culpa, mais le problème a duré pendant 14 longues années. Puisqu’une entreprise dans le domaine agroalimentaire est toujours à un rappel alimentaire près de fermer boutique et que tout est strictement surveillé, il devient difficile de croire qu’une telle situation a perduré pendant 14 ans sans que personne ne s’en aperçoive. La thèse de l’ignorance chez Loblaw-Provigo ne tient ainsi pas la route.

Plusieurs personnes ont été congédiées à la suite de la découverte du complot. Mais pendant 14 ans, de nombreux employés et patrons ont rejoint et quitté l’entreprise. Sachant à quel point la culture de fixation de prix était répandue, comment peut-on croire qu’un tel système n’ait jamais existé avec les produits laitiers, la viande ou même les fruits et légumes ? Bien sûr, la plupart d’entre nous acceptent le fait que les détaillants se surveillent les uns les autres. Mais un abus de pouvoir comme celui-ci avec Loblaw-Provigo devient inacceptable.

Cartel, disputes et abus de pouvoir. L’année 2018 commence mal pour le secteur de la distribution alimentaire. Mais en fin de compte, vu le temps de l’année, les consommateurs passeront à autre chose. Ils oublieront tout simplement... et bien malheureusement. Espérons que l’industrie s’en souvienne longtemps ! Sans la confiance des consommateurs, tout devient plus difficile.

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