légalisation de la marijuana

La vente en ligne, un casse-tête pour Québec

Une quinzaine d’intervenants et des citoyens ont présenté hier à Québec leurs propositions pour encadrer la vente du cannabis, drogue qui sera légalisée par le gouvernement fédéral d’ici juillet 2018. Si toutes les options quant aux lieux de vente sont toujours sur la table (dépanneurs, pharmacies, organismes sans but lucratif ou société d’État), l’économie numérique brouille déjà les cartes, admet la ministre déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois. Bilan d’une journée de consultation.

L’internet ne connaît pas de frontières

La question des lieux où il pourrait être permis de vendre de la marijuana au Québec a été longuement discutée hier lors de la consultation régionale sur l’encadrement du cannabis. Si la ministre déléguée Lucie Charlebois dit que son choix n’est pas encore fait entre confier le mandat à des entreprises privées – idée que dénoncent plusieurs experts en santé publique – ou bien à des OSBL ou à une société d’État, elle admet que l’économie numérique brouille les cartes. Que pourrait faire Québec si une autre province encadrait différemment la vente et permettait la commercialisation en ligne ?

« C’est une très bonne question à laquelle je n’ai pas de réponse. Je ne vous mentirai pas, quand je n’ai pas de réponse, je le dis bien candidement », a-t-elle spontanément répondu, ajoutant qu’il restait plusieurs jours de consultations et que le numérique n’était pas évacué des préoccupations de son gouvernement.

« On sait que le fédéral pourrait vendre des produits, ou les autres provinces pourraient vendre des produits directement aux citoyens du Québec. On n’a pas encore la réponse [quant à savoir] comment on peut bloquer ça », a-t-elle ajouté.

Non au privé

Plusieurs intervenants se sont farouchement opposés hier à l’idée de confier à des entreprises privées le mandat de vendre du cannabis au Québec. L’ancien ministre péquiste Jean Rochon, père de la Loi sur le tabac, privilégierait pour sa part un réseau de vente contrôlé par le public.

« Ça prend un organisme qui a un mandat, un mandat contrôlé par le public, si ce n’est pas même un organisme public, et qu’on ne fait pas un réseau pour faire de l’argent en faisant courir énormément de risques à tout le monde. »

— L’ex-ministre Jean Rochon

« C’est sûr que le contrôle de la distribution est essentiel. Toutes sortes d’intérêts peuvent vouloir profiter de la mise en vente et de la distribution du cannabis. Si on a un produit qui peut avoir des effets nocifs pour la population, c’est encore beaucoup plus important qu’il y ait un contrôle », a-t-il affirmé, présent à cette journée de consultation à titre d’observateur.

« Des organisations privées, c’est fait pour faire de l’argent. Pour les actionnaires, les propriétaires. C’est un but légitime. […] Dans le cas d’un produit comme la marijuana, de prime abord, si c’est un organisme privé qui développe ce marché-là, on ouvre la porte à pas mal plus de risques. »

Du pot au « dep »

Tout comme pour l’alcool, le tabac et les loteries, les dépanneurs voudraient pouvoir vendre du cannabis et proposent à Québec de créer une société d’État qui s’occuperait de la production et de la distribution.

« En ce moment, avec le tabac, on vend un produit légal hautement réglementé, tellement réglementé qu’on approche parfois la prohibition. Il y a une certaine ironie [à maintenant légaliser le cannabis] », a tout de même soulevé Yves Servais, qui représente l’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec.

L’Association propose que l’âge légal pour acheter de la marijuana soit de 18 ans. Pendant la journée de consultation, hier, d’autres intervenants ont proposé des âges différents, notamment 20 et 21 ans.

Cela va-t-il trop vite ?

Est-il possible de créer une société d’État en moins d’un an ? Pendant la journée de consultation, hier, la ministre déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois, a répété que le cannabis serait légal au Canada d’ici juillet 2018 « au plus tard ». La province doit être prête à réglementer rapidement la vente du produit, dit-elle, promettant du même souffle un projet de loi-cadre déposé dès cet automne.

« [Créer une société d’État], ça serait beaucoup de travail… Est-ce que c’est possible ? Quand on s’y met, on peut tout faire. »

— La ministre Lucie Charlebois, ajoutant qu’aucun scénario n’était écarté pour l’instant

Cet été, Mme Charlebois a rencontré la ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, qui lui a clairement indiqué qu’aucun report de la légalisation du cannabis n’était envisagé du côté d’Ottawa. « On en a discuté et ce n’est pas une possibilité », a fait savoir Mme Charlebois.

Les psychiatres en colère

La question de la vente et de la consommation du cannabis sur les campus universitaires et dans les cégeps a été remise sur le tapis, hier, après que la ministre de l’Enseignement supérieur eut refusé de répondre au Journal de Québec qui lui demandait si elle l’interdirait ou non.

« Elle est ministre de l’Enseignement supérieur. Sa mission première est de tout mettre en œuvre pour que les gens aient de l’éducation, qu’on ait un taux de réussite le plus haut possible, qu’on équipe notre jeunesse pour entrer sur le marché du travail. C’est un non-sens de même considérer l’idée d’avoir du cannabis sur les campus. Ce n’est pas une cigarette, le cannabis affecte les fonctions cognitives du cerveau », a affirmé avec vigueur Karine Igartua, présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec, en entrevue avec La Presse.

Du côté de l’Université Laval, dont la professeure titulaire à l’École de psychologie Caroline Senécal était présente hier pour présenter le point de vue de l’établissement, on invite la ministre à créer un pôle d’experts interuniversitaires avec ceux qui se penchent sur la question du cannabis afin de baliser l’encadrement à venir.

« Il faut s’assurer que la consommation éventuelle de cannabis sur le campus se tienne à l’intérieur d’un cadre de consommation responsable et sécuritaire et dans des circonstances qui sont jugées acceptables par l’Université Laval », a-t-elle affirmé devant la ministre déléguée Lucie Charlebois.

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