Chronique

À Québec, pas de menace NFL…

Imaginez la fébrilité partout au Québec si le compte à rebours en vue du retour des Nordiques était enclenché. Si les Bleus étaient en train de préparer leur première saison dans la LNH après 22 ans d’absence. Si leur DG (Patrick Roy ? Julien Brisebois ? Joël Bouchard ?) scrutait la liste des joueurs potentiellement disponibles lors du repêchage de l’expansion afin de bâtir la meilleure équipe possible…

Bien sûr, on parlerait encore des problèmes du Canadien et des excitantes demi-finales de la Coupe Stanley. Mais la construction des Nordiques, sur la glace comme sur le plan administratif, susciterait mille réactions. Ce serait, à n’en pas douter, une extraordinaire histoire !

Hélas, tout cela n’est pas pour maintenant. La LNH a plutôt misé sur Las Vegas comme nouvelle équipe du circuit. On devine déjà l’émotion de Gary Bettman lorsqu’il assistera au match inaugural de l’équipe. Ajouter des clubs américains lui tient à cœur. Et les succès actuels des Predators de Nashville ne modéreront en rien son enthousiasme. Ce printemps, cette équipe consolide comme jamais sa place au Tennessee.

On peut aussi être sûr que Seattle demeure dans la ligne de mire du commissaire, au pire comme solution de rechange si les Coyotes de Phoenix n’obtiennent pas de nouvel amphithéâtre. À moins d’un spectaculaire retournement de situation, Québec devra donc être patient. Surtout que la mollesse persistante du huard face au dollar américain ne suscite en rien l’optimisme.

Cela dit, Bettman devrait conserver le champagne au frais avant de célébrer l’éventuel succès des Golden Knights. Si l’organisation semble lancée sur des bases solides, on ne peut écarter ce fait inquiétant : avant même son premier match, elle a encaissé une droite en plein visage.

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Peu importe notre idée à propos du choix de Las Vegas, reconnaissons à Bettman le cran et la vision d’avoir osé ce gros coup. Il a balayé les réserves historiques du sport professionnel majeur pour s’installer dans la capitale américaine du jeu.

On dit souvent que l’imitation est la plus sincère des flatteries. Si c’est vrai, Bettman a reçu tout un coup de chapeau ! Moins d’un an après qu’il eut ouvert le chemin, ses amis de la Ligue nationale de football (NFL) s’y enfoncent avec fougue, prenant le « Las Vegas Strip » d’assaut avec la puissance d’un rouleau compresseur. Plus tôt ce printemps, les Raiders de Los Angeles ont en effet annoncé qu’ils déménageraient dans la capitale du jeu au plus tard en 2020.

La venue de la NFL à Vegas était dans les cartes depuis un moment. Mais la concrétisation si rapide du projet représente une difficulté de taille pour les Golden Knights, qui ne demeureront pas longtemps l’équipe la plus populaire en ville.

Après les Rams de St. Louis qui ont pris le chemin de Los Angeles la saison dernière, et les Chargers de San Diego qui les suivront dans cette immense métropole cette année, les Raiders sont la troisième équipe de la NFL à préparer ses valises en 15 mois. L’opération est sans précédent.

Le cynisme de la NFL, de loin la plus riche des ligues professionnelles au monde, est sidérant. Ses dirigeants encouragent ces transferts sans l’ombre d’une pensée pour les fans. À chaque occasion, le visage grave, le commissaire Roger Goodell joue la même comédie. Il exprime sa déception pour les partisans des villes perdant leur équipe tout en expliquant qu’aucune autre décision – absolument aucune autre ! – n’est possible.

Cette tristesse de pacotille ne maquille en rien le véritable objectif de la NFL : engranger toujours plus d’argent, notamment grâce aux nouveaux stades. Dès 2010, le Sports Business Journal a révélé que Goodell souhaitait augmenter à 25 milliards les revenus annuels du circuit en 2027. À l’époque, ils frôlaient les 9 milliards. Toujours selon le Journal, ils atteindront 14 milliards cette année. Pour maintenir ce rythme, le statu quo n’est pas une option.

Les Raiders ont une solide tradition à Oakland, même s’ils ont quitté cette ville pour évoluer à Los Angeles de 1982 à 1994. Mais cet attachement ne compte plus quand Las Vegas offre 750 millions pour contribuer à la construction d’un nouveau stade de 1,9 milliard. Cette somme sera tirée d’une taxe sur les nuitées d’hôtel. Les Raiders (500 millions) et une banque américaine (650 millions) financeront le reste.

En fait, les Raiders tiennent tellement leurs partisans d’Oakland pour acquis qu’ils disputeront au moins les deux prochaines saisons dans cette ville, en attendant que leur nouvel édifice soit prêt. Bonjour l’ambiance, comme dirait l’autre.

Les Golden Knights ont réagi à l’arrivée des Raiders en publiant un communiqué leur souhaitant la bienvenue. Mais Bill Foley, le propriétaire de l’équipe, s’est ensuite montré incisif dans une entrevue radiophonique à Vegas Hockey Hotline, reprise par plusieurs médias. « Si je contrôlais la situation, je n’aurais pas voulu que les Raiders viennent à Las Vegas. Il y a certainement une meilleure façon de dépenser 750 millions que d’amener les Raiders ici. On pourrait embaucher des policiers, des pompiers et des professeurs. »

Ce sens civique honore Foley, dont l’équipe jouera dans un amphithéâtre entièrement financé par le secteur privé. Mais ses propos en disent surtout très long sur son irritation. À l’automne 2020, les matchs des Raiders susciteront beaucoup plus d’intérêt que ceux des Golden Knights. Pour une organisation qui tentera toujours de bonifier sa place dans le marché, c’est une mauvaise nouvelle.

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Pour connaître du succès à long terme, les Golden Knights devront consolider leur ancrage à Las Vegas avant que les Raiders n’y déposent leurs sabots. Les dirigeants de l’équipe doivent aussi espérer qu’une récession ne ralentisse pas l’économie. Les destinations touristiques encaissent toujours rudement un choc semblable.

Alors bonne chance aux Golden Knights. Mais en surveillant leurs balbutiements, je ne peux m’empêcher de penser ceci : à Québec, Bettman n’aurait pas eu à composer avec la lourde menace de la NFL.

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