ÉLECTIONS PROVINCIALES CORRESPONDANCE

Québec solidaire… et les autres

Pour la durée de la campagne électorale, le professeur Gérard Bouchard entretiendra chaque samedi une correspondance intergénérationnelle avec l’étudiant au doctorat en science politique Félix Mathieu.

Des principaux partis en lice dans cette campagne, un seul loge à une enseigne clairement définie : c’est Québec solidaire (QS), qui s’affiche carrément à gauche et souverainiste.

Ceci devrait l’avantager. En plus, c’est le parti dont le programme est le plus cohérent et le plus généreux socialement. C’est aussi un parti exceptionnellement démocratique dont les leaders sont très crédibles et qui fait preuve d’une grande intégrité. Néanmoins, il n’arrive pas à franchir le mur des 12 à 14 % d’appui dans la population. Où est l’obstacle ?

Il y a d’abord un problème de perception. Le parti soutient des politiques sociales très généreuses remplies de dispositions ingénieuses, avant-gardistes même. Mais ce qui concerne la production de la richesse ne manifeste pas la même créativité. Des analystes, dont Alain Dubuc, ont aussi accusé le caractère trop radical, irréaliste même, de certains éléments de son programme. Ils n’ont pas tort.

Voici quelques exemples. QS préconise le contrôle collectif des grands leviers économiques (ou « la socialisation de l’économie »), incluant la nationalisation de grandes entreprises. Il veut promouvoir la propriété collective et prioriser une « économie sociale et démocratique » qui laissera toutefois « une certaine place au secteur privée [sic] […] particulièrement en ce qui a trait aux PME ». Il entend « favoriser les entreprises autogérées et socialisées », empêcher ou restreindre la spéculation sur les biens immobiliers et limiter la possession individuelle de ces biens. Il milite aussi pour la décroissance de la consommation (laquelle ?) et accorde une place très importante à la démocratie directe à grande échelle.

Voilà des mesures qui obstruent l’accès au pouvoir. En plus de heurter la culture politique des Québécois, elles font fi du bon sens dans le contexte nord-américain.

Il n’y a certes rien à reprocher à Québec solidaire, qui a le droit de choisir ce qu’il veut être. Mais c’est dommage pour le Québec où un parti fortement orienté socialement mériterait d’occuper une plus grande place. 

C’est dommage aussi pour Gabriel Nadeau-Dubois, un jeune leader talentueux dont l’avenir politique risque d’être limité dans un parti apparemment réfractaire à prendre le pouvoir.

Parti libéral

Il est donc à prévoir qu’encore une fois, la grande majorité des Québécois s’en détourneront. Plusieurs d’entre eux voteront pour le Parti libéral du Québec (PLQ) même s’il est usé. En plus, depuis que son initiative constitutionnelle a été rejetée avec dédain par Justin Trudeau, il s’est écrasé. Il semble désormais à court d’idées concernant la défense des intérêts du Québec face à Ottawa.

Ses maux ne s’arrêtent pas là. Bien des Québécois ne lui pardonnent pas ses coupes budgétaires brutales qui ont durement frappé les plus démunis et n’avaient même pas été précédées de consultations. En plus, elles étaient dictées en bonne partie par une stratégie grossière : accabler la population puis la gaver de cadeaux à l’approche des élections. La gestion cavalière et chaotique du ministre Barrette a également indisposé plusieurs citoyens. Il y a aussi ce milliard des médecins qui ne passe pas. Enfin, les libéraux doivent encore lutter contre les soupçons de malversation qui hantent continuellement leur parti ou son entourage (prochain épisode : l’affaire pendante des transactions liées aux immeubles gouvernementaux).

Parti Québécois

Quant au Parti québécois (PQ), sa situation est précaire. Contraint d’écarter l’article 1 de son programme, il est pour ainsi dire décapité. Il ne détient plus le monopole du nationalisme que lui disputent Québec solidaire et même, à sa façon ambiguë et imprévisible, la Coalition avenir Québec (CAQ). Le parti, plusieurs l’ont dit, doit se réinventer, mais dans un contexte difficile ; les périodes électorales se prêtent mal aux redéfinitions profondes. En plus, il doit le faire sur un échiquier déjà occupé quasiment en totalité. Il est à craindre qu’il improvise, sans soulever beaucoup d’enthousiasme, même s’il met de l’avant des propositions très pertinentes. Tout cela est ingrat, mais paraît difficilement évitable.

Coalition avenir Québec

Quant à la CAQ, qui n’a jamais gouverné, elle tire profit de l’usure et de la défaveur du PLQ, mais demeure une grande inconnue. On chercherait vainement un tracé clair dans son programme ou dans les déclarations de ses ténors, dont certaines sont très inquiétantes. Je pense à Youri Chassin qui rejette le « mythe de l’État au service du bien commun », s’oppose à la gratuité des CPE et à la taxe sur le carbone et semble disposé à privatiser Hydro-Québec et le système de santé. M. Legault n’est pas sans reproche non plus. Cependant, il est un homme pragmatique et un politicien d’expérience. Il convient peut-être de lui laisser le bénéfice du doute.

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