Chronique

Un verdict… très classique

Un homme part des Laurentides armé jusqu’aux dents. Il fait deux heures de route pour aller tuer la nouvelle première ministre du Québec et « le plus de séparatistes possible ».

Voilà ce qui s’appelle préméditer un homicide : le planifier, l’organiser, penser à l’avance à ce qu’on fera.

Comment alors le jury a-t-il pu déclarer Richard Bain coupable de meurtre « non prémédité » ?

Ça semble contradictoire, et ça l’est… si on ne tient pas compte de la preuve de l’état mental. En effet, quand un accusé présente une défense de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux, le jury se trouve devant plusieurs options. Pas seulement non responsable OU coupable.

Évidemment, il fallait d’abord régler la question fondamentale : est-ce que Bain pouvait distinguer le bien du mal au moment où il a tué Denis Blanchette et où il a tenté de tuer trois autres personnes ?

On l’a oublié à cause de l’affaire Turcotte I, mais c’est une défense difficile à faire valoir. Il ne suffit pas de soulever un doute. L’accusé doit prouver sa folie par prépondérance de la preuve (50 % + 1, si vous voulez).

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De toute évidence, la preuve de la défense n’était pas si mauvaise, sinon le jury n’aurait pas passé 10 jours à délibérer. L’homme a réellement des problèmes psychiatriques, il était sous médication.

C’est loin de suffire pour se soustraire à sa responsabilité criminelle : pour réussir, il doit convaincre le jury qu’il ne savait pas ce qu’il faisait, qu’il ne pouvait apprécier la valeur morale de ses gestes.

Ce n’était pas assez, mais il y avait assurément matière à débat avec les éléments psychiatriques avancés.

Sauf qu’au final, on l’a vu, le jury a rejeté cette thèse. Leur travail n’était pas terminé pour autant…

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Depuis longtemps déjà, les tribunaux ouvrent des verdicts « moindres » quand il existe une preuve de troubles mentaux.

Si l’accusé n’est pas assez « troublé » pour être déclaré non responsable, le jury peut quand même atténuer sa responsabilité au moment de déterminer le verdict.

Si la preuve psychiatrique est sérieuse, le juge « ouvrira » plusieurs verdicts de culpabilité : coupable de meurtre au premier degré (prémédité) ou de meurtre au second degré (non prémédité) et même d’« homicide involontaire ».

Si l’on ne tient pas compte de l’état mental de l’accusé, la description du crime de Bain n’est évidemment pas un « homicide involontaire », pas plus qu’un meurtre non prémédité. Mais les tribunaux ont développé au fil des ans une forme de compromis qui permet de retenir la responsabilité criminelle, mais à un degré moindre. Ce qu’en anglais on appelle « short of insanity ». Je traduirais par « pas assez fou » pour être non responsable… mais un peu quand même.

Le jury peut rejeter totalement la défense et le déclarer coupable de meurtre prémédité. Mais si la défense, après avoir échoué sur l’essentiel, soulève tout de même un doute raisonnable sur l’état dans lequel se trouvait l’accusé, le jury doit l’en faire bénéficier, en concluant à une responsabilité mitigée. Sa préméditation sera écartée. Ce qui est arrivé ici.

Le juge qui n’ouvrirait pas ces verdicts verrait le jugement annulé en appel – ce qui est arrivé.

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La peine est la même pour le meurtre prémédité ou non : emprisonnement à perpétuité. À ceci près : pour le meurtre prémédité, le minimum à purger est de 25 ans avant toute libération conditionnelle ; pour le meurtre non prémédité, le juge devra fixer cet automne ce minimum, se situant quelque part entre 10 et 25 ans. En tenant compte du verdict et de toutes les circonstances – risques, antécédents de l’accusé, message à envoyer à la société, etc.

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Le juge Guy Cournoyer, en refusant de libérer Bain en attendant le procès, avait souligné la composante politique de la motivation de Bain : « Il y a eu deux référendums sans violence politique, le Canada a largement été épargné par de telles violences. Aucune cour ne pourrait accepter la violence pour empêcher la liberté d’expression, c’est tout simplement inacceptable, peu importe le parti politique. » (Un passage qu’aurait intérêt à méditer Gaétan Barrette au lieu de trouver des explications bidon à la violence.)

Est-ce à dire que la poursuite aurait pu déposer des accusations de terrorisme, vu cette motivation ? Techniquement, oui.

Le Code criminel définit le terrorisme comme un acte commis « au nom – exclusivement ou non – d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique » en vue d’intimider la population « quant à sa sécurité, entre autres sur le plan économique, ou de contraindre une personne, un gouvernement ou une organisation nationale ou internationale à accomplir un acte ou à s’en abstenir ».

C’est assez large. À partir du moment où l’on fait une démonstration des motifs « politiques » de Bain, on aurait pu l’accuser de cela aussi.

Mais à partir du moment où la preuve de meurtre et des tentatives de meurtre est archi-claire, il n’y a pas de gain à ajouter une accusation qui oblige à faire une preuve plus compliquée des motifs de l’accusé – certains n’ont été connus qu’à l’occasion de la défense. La poursuite a aussi laissé tomber les accusations d’incendie criminel, pour plus de commodité.

Une accusation de terrorisme aurait pu être utile si Bain n’avait pas commis de meurtre, une éventuelle condamnation pour terrorisme aurait pu entraîner une peine plus lourde. Mais avec une peine automatique de perpétuité pour le meurtre, ajouter une accusation dont le résultat est incertain n’aurait pas été utile. En plus de donner une occasion supplémentaire d’allonger cette affaire qui avait déjà trop traîné… et de donner une occasion à Bain de faire déraper le débat.

Bref, ce qui apparaît incohérent dans ce verdict ne l’est que si l’on exclut la preuve de l’état mental. Autrement, il est parfaitement logique juridiquement, classique même.

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