Sur le radar

Vers un nouveau cycle d’acquisitions ?

Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d’investissement. Cette semaine, Christian Godin, vice-président principal et chef des actions chez Placements Montrusco Bolton, à Montréal.

À votre avis, quel est l’événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse ?

C’est l’acquisition de British Gas par la pétrolière Shell pour un montant historique de 70 milliards US, avec une énorme prime de 50 % environ sur la valeur boursière récente de British Gas.

Dans le contexte de forte déprime des revenus en énergie, l’ampleur de cette transaction pourrait inciter plusieurs autres entreprises à se lancer elles aussi dans la chasse d’actifs pétroliers ou gaziers afin de profiter de leur dévalorisation en Bourse.

Aussi, dans le secteur de l’énergie, de tels cycles favorables aux acquisitions sont habituellement plus courts que dans les autres secteurs d’importance en Bourse.

Par ailleurs, je m’attends à des répercussions de cette transaction dans les marchés financiers et l’économie de Grande-Bretagne, mais aussi dans les pays producteurs de gaz et de pétrole comme le Canada et le Brésil.

Au Canada, notamment, il faudra voir le sort réservé aux projets de port de gaz naturel liquéfié en Colombie-Britannique, où British Gas et Shell sont des partenaires dans des projets concurrents.

Sur la Bourse canadienne, je m’attends à une résurgence des annonces de transactions d’actifs ou d’entreprises du pétrole et du gaz, ce qui rajouterait à ce qui se passe déjà avec Talisman Energy.

(En voie d’acquisition pour 8,3 milliards par l’espagnole Repsol SA.)

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment ?

C’est la création d’emplois et l’évolution des salaires. Aux États-Unis d’abord, mais aussi dans les autres grandes économies développées comme l’Europe et le Japon.

Aux États-Unis, la réduction continue du taux de chômage et le rehaussement éventuel des salaires deviennent déterminants pour les attentes en matière d’inflation et de politique de taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine (Fed). Et, du coup, pour l’impact dans les marchés financiers et boursiers des prochaines décisions de politique monétaire.

Pendant ce temps, en Europe et au Japon, après des années de tergiversations, on attend encore l’impact sur ces économies des mesures monétaires expansionnistes qui ont été initiées par leur banque centrale.

En Europe surtout, la baisse espérée du taux de chômage tarde à se manifester dans la plupart des pays les plus affectés. Et alors que les taux d’intérêt ont déjà été réduits au minimum, il ne reste guère autre choix aux autorités européennes pour stimuler l’économie et la création d’emplois que de laisser leurs monnaies se dévaluer davantage.

Cette tentation de recourir à une dévaluation de la devise est aussi forte au Japon, où l’économie stagne depuis des années.

Si cette tentation devait s’accentuer, en Europe et au Japon, on pourrait assister à une nouvelle « guerre des devises » dans l’économie internationale.

Et un regain d’appréhension en Bourse sur les impacts de tels tumultes monétaires dans l’économie, mais aussi dans les prochains résultats des entreprises.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir ?

Je dirigerais ces fonds à investir surtout vers des titres de dividendes d’entreprises bien établies, avec un bon potentiel de croissance continue de leurs dividendes.

Dans un contexte de très faibles taux d’intérêt et de doutes envers la valorisation des principaux marchés boursiers, c’est le meilleur moyen d’obtenir un rendement de base de 3,5 à 4 % par an (en dividende) avec de nouveaux placements.

Sur la Bourse canadienne, le secteur des banques recèle de tels titres intéressants, à mon avis.

La Banque Nationale, par exemple, a une bonne base d’affaires au Québec et en Ontario ; deux provinces où l’économie devrait bénéficier le plus de l’impact positif du dollar canadien faible dans les secteurs industriels et d’exportation.

J’apprécie aussi la Banque TD pour son bon positionnement au Canada, mais surtout dans tout l’est des États-Unis.

Par ailleurs, toujours dans des placements en titres à dividende, je privilégie les actions d’entreprises qui ont aussi un bon potentiel de croissance par acquisitions, afin de maximiser leur effet de levier à partir d’un financement à très faible coût.

Lorsque bien préparées et bien réalisées, de telles acquisitions par endettement à très faible taux d’intérêt peuvent être rapidement très rentables pour le capital d’une entreprise et l’avoir de ses actionnaires.

Comme exemple, je citerais Alimentation Couche-Tard. Ce détaillant devenu d’envergure internationale maintient une bonne croissance par acquisitions grâce, notamment, à un coût net de financement inférieur à 3 %.

À l’opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci ?

Comme la plupart de vos interlocuteurs, je présume, j’évite de faire des placements dans les obligations à long terme.

Leur rendement est vraiment trop faible, et même négatif après l’inflation dans certains cas, pour que ça vaille la peine d’y faire des placements.

Parmi les secteurs en Bourse, je préfère éviter pour quelque temps encore d’investir dans des titres de matières premières, en particulier le fer.

Ce marché mondial est maintenant dominé aux deux tiers par trois grandes entreprises – Rio Tinto, BHP et Vale – qui cherchent à épurer la concurrence en déprimant les prix du fer en dessous des coûts moyens de production.

Dans un tel contexte, les producteurs de fer de taille intermédiaire comme ceux implantés dans le Nord québécois ont beaucoup moins de résistance financière que les géants du fer, qui peuvent diversifier leurs revenus dans d’autres métaux. Comme investisseur, je préfère m’abstenir avant que la situation se clarifie.

Qu’est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement ?

C’est la possibilité que les taux d’intérêt dans les principales économies développées demeurent très bas pour encore longtemps, en raison de la faiblesse persistante des principaux indices de croissance.

Dans ce contexte, je crois qu’on sous-estime la tentation de plus en plus forte de certains gouvernements et de leur banque centrale de dévaluer leur devise à des fins de stimulation économique.

Une telle « guerre des devises » pourrait amener les marchés financiers et boursiers en terrain très glissant, sans que l’on sache trop où ça pourrait aboutir.

QUI EST-IL ?

Christian Godin est vice-président principal, chef des actions et membre du conseil d’administration de Placements Montrusco Bolton.

Cette firme montréalaise gère plus de cinq milliards de dollars d’actifs financiers provenant d’une clientèle d’investisseurs institutionnels au Canada et aux États-Unis. La majeure partie de ces actifs gérés  – plus de quatre milliards – est investie en actions d’entreprises de capitalisation variée.

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