LE FILM NOIR 

BOMBES À RETARDEMENT

Fiction

Il y a Dickens, ado impulsif qui rêve de devenir gangster comme ses grands frères. Fleur, une mère adolescente qui souhaite sortir du ghetto. Kadhafi, un ex-gangster et père de famille qui tente de se reprendre en main. Et finalement, Suzie, la danseuse en amour avec son proxénète. Ils évoluent dans un ghetto violent et oppressant. Dans une rare scène de bonheur du film, on voit des enfants s’amuser dans la cour d’un HLM. Or la scène positive est vite gâchée par une prostituée qui – dans cette même cour – fait une fellation à un client sans prendre la peine de se cacher.

Réalité

Tous deux travailleurs de rue au Café-jeunesse multiculturel de Montréal-Nord, Jessyka Maharaj et Roberson Berlus côtoient au quotidien des jeunes qui ressemblent à ceux du film.

« Les scènes sont réalistes pour la plupart. J’ai reconnu certains jeunes », dit M. Berlus qui sillonne chaque jour le secteur défavorisé situé dans l’est du quartier surnommé le « Bronx ». C’est là que les émeutes ont éclaté, en 2008, à la suite de la mort du jeune Fredy Villanueva sous les balles d’un policier de Montréal. « Mais nos jeunes ne se résument pas aux problèmes qu’ils vivent. Ils ont du talent, du potentiel, ce que le film ne montre pas assez », précise-t-il.

Dans la « vraie vie », le travailleur de rue a formé un groupe de « jeunes leaders » avec des jeunes délinquants qui ont un casier judiciaire. Le groupe organise des activités sociales pour les familles du quartier. « Les gars ont fait des conneries, oui, mais ils ne sont pas toujours sous tension, en train de faire des mauvais coups », raconte M. Berlus.

Dans le « Bronx » de Montréal-Nord, certains jeunes sont armés. Ils ne vont toutefois pas sortir un revolver en plein jour chaque fois qu’ils sont contrariés, selon le travailleur de rue. « Les gars agissent en protecteurs. Ils ne vont pas mettre la vie de leurs petits frères ou petites sœurs en danger. Ils ne vont pas, non plus, laisser une prostituée faire une pipe à un client devant tout le monde », poursuit-il. Le quartier est plus accueillant que ne le laisse croire la fiction, insiste sa collègue, Mme Maharaj.

Tous deux Québécois d’origine haïtienne, les travailleurs de rue ne saisissent pas le message qu’a voulu envoyer le cinéaste avec ce film. « Les personnages principaux d’immigrants sont tous des criminels. Les Blancs, eux, sont soit des personnes en autorité, soit des victimes », analyse M. Berlus. « Je trouve que le film donne aux spectateurs ce qu’ils s’attendent à voir sans expliquer pourquoi ces immigrants tombent dans la criminalité. Ça manque de contexte social », ajoute Mme Maharaj.

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