À ma manière

Comment nous avons modernisé l’entreprise de notre arrière-grand-père

Qui : Annie Fortin, présidente de J.E. Fortin, entreprise spécialisée dans le transport de marchandises à température contrôlée (fruits, légumes, chocolat, colle à plancher, résine, médicaments, etc.) entre le Québec et la côte est des États-Unis.

Chaque semaine, une personnalité du milieu des affaires nous raconte dans ses mots une page de son histoire.

« Il y a trois ans, ma sœur Caroline et moi avons repris l’entreprise familiale fondée par mon arrière-grand-père en 1923. Mon père était prêt à nous laisser les rênes. Il a gardé ses dossiers préférés pour faire une transition jusqu’à sa retraite.

« J’ai hérité du titre de présidente, mais sincèrement, ça aurait pu être ma sœur. À nous deux, on peut remplacer tous les postes dans l’entreprise. Ma sœur est présidente de notre deuxième entreprise de transport située à Granby.

« L’été de mes 14 ans, j’ai commencé à travailler ici. Je répondais au téléphone et je classais les déclarations d’heures de conduite. Ça fait près de 30 ans que je vois évoluer l’entreprise et je dois dire qu’on était très en retard concernant les nouvelles technologies. Il y a un an à peine, je communiquais encore avec les chauffeurs par téléphone cellulaire. »

Transformer une contrainte en innovation

« La nouvelle réglementation américaine, qui entre en vigueur le 18 décembre et qui oblige tous les camions qui roulent aux États-Unis à être munis d’un carnet de route électronique, nous a un peu forcés à moderniser notre flotte. J’ai saisi cette occasion pour aller encore plus loin dans l’innovation.

« Avec l’aide de ma sœur, j’ai décidé de faire installer un carnet de route électronique dans nos 85 camions, même ceux qui ne traversent pas la frontière. J’ai opté pour ISAAC instruments de Chambly, une entreprise québécoise, qui offre aussi de la télémétrie et de la télématique. Une tablette électronique est branchée au moteur des camions et nous donne beaucoup de data.

« Concrètement, ça calcule l’économie de carburant, la conduite préventive et la conduite anticipée. Quand le chauffeur voit, par exemple, la lumière rouge, il arrête d’appuyer sur l’accélérateur et il se laisse aller. La vitesse qu’il prend dans les sorties d’autoroute est calculée en fonction du chargement. Pour savoir si leur conduite est optimale, les chauffeurs voient sur leur tablette si c’est vert, jaune ou rouge.

« Je n’ai plus besoin de déranger le camionneur pour savoir s’il arrive bientôt chez un client. Je vois en temps réel où il est rendu. Je ne risque pas non plus de le déranger quand il dort, parce que je le vois aussi. »

Contrer la pénurie

« Ce système permet à l’entreprise d’être plus efficace et sécuritaire, mais également de lutter contre un grand problème de l’industrie : la pénurie de chauffeurs. La compétition dans le transport n’est pas seulement au niveau des clients en 2017, elle est aussi au niveau de la main-d’œuvre. Depuis quelques années, je cherche avec ma sœur des moyens de retenir les chauffeurs de camion. C’est extrêmement difficile. J’ai remarqué que les conditions de vie comptaient plus que les conditions salariales.

« J’ai donc modernisé les conditions de travail en améliorant la conciliation travail-famille. J’ai aussi modernisé les véhicules. Ça fait des années que mon père achetait des camions sans savoir que les modèles ne plaisaient pas aux chauffeurs. Pour eux, c’est le siège et le matelas qui sont importants. Notre nouvelle flotte est maintenant plus confortable pour les chauffeurs, qui ont chacun leur camion attitré avec un micro-ondes et un téléviseur.

« Ce que l’entreprise va arriver à épargner avec le nouveau système électronique, je veux le partager avec les bons chauffeurs. Ceux qui travaillent avec nous. Ceux qui font attention au carburant et à leur façon de conduire.

« Finalement, quand je pense à ce qui a le plus changé au cours des trois générations qui m’ont précédée, je crois que c’est le contenu du tiroir de notre bureau… Avant, il était rempli de CV. Aujourd’hui, ma sœur et moi mettons tout en œuvre pour retenir la main-d’œuvre dans l’espoir de transmettre un jour le flambeau à une cinquième génération de Fortin. »

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