Opinion : Diffamation et liberté d’expression

Pour une poignée de dollars…

Les étoiles finissent toujours par se diluer dans le cyberespace médiatique. Il y a trois ans, craignant pour son image et ses annonceurs, Fox News a remercié son présentateur vedette Bill O’Reilly. Ce mois-ci, c’était au tour de la « star des stars », Lou Dobbs, de perdre son émission à la chaîne câblée la plus regardée aux États-Unis.

Cette fois, ce n’était pas pour cause de harcèlement sexuel, mais par crainte de perdre devant les tribunaux contre Smartmatic. La société de technologie de vote réclamait 2,7 milliards de dollars à la station de Rupert Murdoch pour avoir relayé des théories complotistes l’impliquant à tort lors de la présidentielle de novembre.

Il aura donc fallu une poursuite en diffamation pour endiguer le flot de désinformation et de fake news d’un média longtemps chouchouté par Donald Trump.

Également poursuivis par Smartmatic, One America News Network (OANN) et Newsmax ont mis de l’eau dans leur vin. Ils jouent désormais de prudence : fini, pour l’instant du moins, le colportage d’allégations de toutes sortes sur les résultats du 3 novembre.

Mais voilà, s’attaquer aux portefeuilles des médias trumpistes pour qu’ils cessent sur-le-champ de semer à tout vent des fausses nouvelles, n’est-ce pas aussi limiter leur liberté d’expression ? Dit autrement, n’est-ce pas les censurer ? Doit-on criminaliser les fausses nouvelles tout en préservant la liberté d’expression ? Le remède est-il alors pire que le mal ?

Un véritable exercice d’équilibriste se joue tous les jours entre la ligne rouge de l’interdit et la liberté d’expression.

Entre deux respects

Selon la maxime des Lumières, « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres », et dans l’affaire Smartmatic-Fox News, si les tribunaux avaient eu à trancher, il y a fort à parier qu’ils auraient privilégié le respect de la réputation de la firme technologique plutôt que la liberté d’expression de la chaîne câblée. C’est sans doute pour cette raison que cette dernière a sacrifié Dobbs malgré les 300 000 téléspectateurs réunis tous les jours autour de sa personne.

Dans tous les cas, l’équilibre entre le droit à la réputation et la liberté d’expression – jamais totale ni illimitée – est souvent fragile et si la publicité mensongère est interdite, publier des fausses nouvelles est une infraction rarement sanctionnée dans les médias dits traditionnels comme dans les réseaux sociaux.

Si la France et l’Allemagne viennent de légiférer contre les fausses nouvelles, leurs mesures encore floues sont constamment dénoncées comme étant des moyens de censure.

Au Canada, diffuser une fausse nouvelle n’est plus une infraction pénale depuis l’invalidation en 1992 de l’article 181 du Code criminel par la Cour suprême.

Aux États-Unis, pas question d’écorcher le sacro-saint premier amendement qui garantit la liberté d’expression dans un pays depuis toujours fertile aux fausses nouvelles. À l’élection présidentielle de 1800, un faux article avait annoncé la mort de Thomas Jefferson dans le but d’influencer les électeurs de voter pour John Adams, le président sortant. On le voit, rien de nouveau sous le soleil. Mais…

L’explosion de la galaxie médiatique avec sa ribambelle de réseaux sociaux est un formidable coup d’accélérateur aux fausses nouvelles – formule malheureuse car toute information au départ désigne un fait exact et nettoyer les écuries d’Augias demandera un effort herculéen dans les salles de rédaction et devant les tribunaux.

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