Chronique

Se souvenir d’elle

Cela se savait dans le « milieu ». Renée Claude, l’une des plus grandes interprètes que le Québec ait connues, souffre de la maladie d’Alzheimer. Il y a quelques jours, son conjoint des 30 dernières années, Robert Langevin, s’est confié à un journaliste d’Échos-Vedettes. Ce fut la consternation chez ses admirateurs.

Reconnu pour sa capacité à soulever des montagnes, le producteur Nicolas Lemieux était chez lui lundi soir dernier et pensait à cette chanteuse qu’il aime tant. Celui qui a produit l’événement Montréal symphonique lors des fêtes du 375e anniversaire avait 17 ans quand il a créé son premier événement. Renée Claude, son idole, en faisait partie.

« J’ai eu un flash, m’a-t-il raconté. Il était 23 h. Je me suis mis à texter et à appeler tout le monde. » Ce flash, c’est de faire interpréter par une douzaine de voix féminines la chanson Tu trouveras la paix, l’un des nombreux succès écrits et composés par Stéphane Venne pour Renée Claude.

Rapidement, des gens de confiance ont été mis dans le coup, dont Monique Giroux et le chef d’orchestre Simon Leclerc. En 72 heures, pas moins de 11 chanteuses ont répondu à l’appel lancé par Nicolas Lemieux. Et non les moindres : Céline Dion, Diane Dufresne, Ginette Reno, Louise Forestier, Isabelle Boulay, Luce Dufault, Laurence Jalbert, Ariane Moffatt, Marie Denise Pelletier, Marie-Élaine Thibert et Catherine Major.

Toute la journée, hier, plusieurs de ces interprètes ont défilé au Studio Piccolo pour enregistrer cette version qui sera lancée vendredi, dans le cadre de la Journée internationale des femmes.

« C’est absolument incroyable ce qui en est train de se passer. Ça relève du miracle. Céline a donné son spectacle samedi soir à Las Vegas. Elle a pris 15 minutes de pause et elle s’est rendue dans un studio pour enregistrer sa partie. C’est fou ! »

— Nicolas Lemieux, producteur

Pour des raisons d’horaire, Diane Dufresne et Isabelle Boulay sont venues au Studio Piccolo samedi. C’est également à ce moment-là qu’on a enregistré le piano et les cordes arrangés par Simon Leclerc, de même que l’Ensemble vocal Boréal, un chœur de 43 jeunes filles de 8 à 17 ans. Si tout se passe comme prévu, Ginette Reno viendra en studio mercredi.

Hier, au Studio Piccolo, malgré les raisons qui rassemblaient tout ce beau monde, il régnait une ambiance festive. Ça riait, ça blaguait. Nicolas Lemieux avait demandé à toutes les chanteuses de s’habiller en noir et de se faire des « yeux charbonneux à la Renée Claude ».

Chaque interprète disposait de quelques minutes pour enregistrer sa voix. Ariane Moffatt a dû s’exécuter pendant que son fils offrait une sublime crise de larmes à tous ceux qui tentaient de se transformer en Mary Poppins pour le divertir.

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Tu trouveras la paix est l’une des nombreuses chansons issues de la collaboration entre Renée Claude et Stéphane Venne. En effet, entre 1968 et 1972, ce tandem explosif a été très fertile, créant quatre albums desquels ont jailli d’immenses succès comme Le début d’un temps nouveau, La rue de la Montagne, C’est notre fête aujourd’hui, Le tour de la terre et plusieurs autres.

Ces chansons étaient faites de mots de bronze et de musiques d’or qui furent coulés parfaitement dans leur époque. La fin des années 60 a été une période où la jeune génération avait besoin d’air, les femmes de liberté et le Québec des autres. « Si tu viens dans mon pays, tu connaîtras mes amis, tu connaîtras mes saisons… »

Tu trouveras la paix est le titre du quatrième album créé par Stéphane Venne et Renée Claude. Joint chez lui hier, l’auteur-compositeur a gentiment accepté de me raconter l’histoire de cette chanson. « Radio-Canada m’avait demandé de composer une chanson que Renée devait présenter au concours d’Athènes. J’ai écrit une chanson sur la paix intérieure, intime. Mais en Grèce, où l’on connaissait la dictature des colonels, on a vu là un exemple de chanson pacifiste. Ils l’ont refusée. Renée a dû en faire une autre. »

Selon Stéphane Venne, cette chanson a été, avec Le début d’un temps nouveau, l’un des plus grands succès du tandem.

Dans cette chanson, tout le son Venne de cette époque est délicieusement résumé. On attaque derechef par un refrain qui va se loger dès les premières mesures dans notre tête. Puis, il y a une rupture de ton pour les couplets, une rupture conçue pour nous faire apprécier le retour du refrain.

On y entend des cordes pour la beauté de la chose, une guitare électrique pour poivrer le tout et des cuivres parce que… Parce que nous sommes dans les années 70 et que dans les années 70, on ne se prenait pas pour de la chnoute.

Et puis, cette poésie sans complexe, créée dans le seul but d’être chantée.

« Tu trouveras la paix dans ton cœur

Et pas ailleurs, et pas ailleurs

Tu peux cesser de la chercher

Ce n’est qu’en toi qu’elle peut commencer »

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Le conjoint de Renée Claude, Robert Langevin, a assisté à la séance d’enregistrement d’hier. Il était visiblement touché par cet énorme geste d’amour. Il m’a raconté le début des premiers symptômes de la maladie de son amoureuse, il y a environ six ans. Et la dégradation rapide des derniers mois.

Renée Claude vit depuis l’automne dernier dans un CHSLD de la région montréalaise. « Comme j’ai pris ma retraite, j’ai pu m’occuper d’elle à temps plein durant la dernière année. Mais à la fin, elle n’arrivait plus à marcher. Les ambulanciers sont venus la chercher. Je crois qu’elle n’a pas tout à fait réalisé ce qui se passait. »

Robert Langevin va rendre visite à sa conjointe tous les jours.

« Je lui ai apporté des poèmes de Gilles Vigneault et le roman Le petit prince. Je lui lis des passages. Elle me regarde et me sourit. »

— Robert Langevin, conjoint de Renée Claude

L’autre jour, Robert Langevin a eu droit à une belle surprise. « Je suis entré dans sa chambre elle a dit : “Bibi !” C’est le surnom qu’elle m’avait donné. »

Un ami de Renée Claude, qui tient à conserver l’anonymat, va la voir régulièrement. Il lui tient la main et lui lit des haïkus. « Tu sais, elle est encore belle », m’a-t-il dit. Je n’en doute pas un instant.

Robert Langevin et cet ami m’ont confié que Renée Claude « chantonne » souvent. Le matin, quand on fait sa toilette, elle chantonne des airs inventés. Ce détail m’a bouleversé. On dit souvent que les personnes atteintes d’alzheimer perdent leurs réflexes naturels. Malgré le stade avancé de sa maladie, cette femme qui a voué sa vie à la musique sait encore qu’elle est une chanteuse. C’est renversant.

Une chose attriste particulièrement Robert Langevin et c’est l’éloignement des gens.

« Ces dernières années, on a oublié Renée. »

— Robert Langevin

« Pouvez-vous croire que sur les centaines et les centaines de personnes qu’elle a côtoyées durant sa carrière, seulement trois sont venues lui rendre visite ? Je ne juge pas, mais cela me fait de la peine. »

Robert Langevin a sans doute craint que celle qui est et restera l’une des plus grandes artistes du Québec disparaisse dans l’indifférence la plus complète. L’élan de sympathie suscité par le projet d’enregistrement de cette chanson démontre au contraire que, pour toutes les générations, Renée Claude a toujours l’amour du public et de ses camarades.

Lorsque la chanson sera enregistrée, Robert Langevin ira la faire entendre à sa belle Renée. Il ne sait pas si elle comprendra la portée du geste, ni si elle reconnaîtra la chanson.

Elle ne se rappellera sans doute pas qu’elle a été une grande chanteuse.

Mais nous, on le sait. Et il faudra s’en souvenir.

La chanson Tu trouveras la paix sera offerte le 8 mars sur diverses plateformes. Les recettes liées à la vente seront versées à la Fondation du CHUM, plus particulièrement à un programme innovateur qui va s’intéresser à la santé des femmes. Une vidéo de style « making of » sera également diffusée vendredi.

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