ÉDITORIAL MONTRÉAL-NORD

La murale de la discorde

Peu importe ce qu’on en pense, Fredy Villanueva est devenu un symbole des tensions raciales à Montréal-Nord.

Le maire de Montréal-Nord, Gilles Deguire, marchait sur des œufs, hier matin, en entrevue à la radio avec l’animateur Franco Nuovo. Une polémique autour de la mort de Fredy Villanueva, c’est bien la dernière chose que l’élu désirait pour les 100 ans de Montréal-Nord.

Le maire réagissait à la décision de ne pas représenter Fredy Villanueva dans un projet de murale pour souligner le centenaire de son arrondissement. Le 9 août 2008, ce dernier est tombé sous les balles d’un policier, près du stationnement de l’aréna jouxtant le parc Henri-Bourassa, non loin du mur où sera créée l’œuvre d’art public.

Contrairement à ce qu’affirme le maire, la collectivité n’a pas tourné la page. « C’est dommage, car on rate une bonne occasion de passer un message pour aider à changer les perceptions », déplore Annabel Soutar, l’auteure de Fredy, pièce documentaire qui sera créée par sa compagnie, le Théâtre Porte Parole, en mars 2016. « Ça prouve que les gens ont encore peur de se confronter à la réalité, qu’on préfère blanchir le passé, poursuit-elle. Or, le déni n’arrange jamais rien. »

Depuis le tragique événement, deux mentalités s’affrontent. Deux perceptions si cristallisées dans l’inconscient collectif de Montréal-Nord qu’elles passent pour la réalité.

D’un côté, des policiers blancs, baveux, arrogants ; de l’autre, des jeunes de couleur, criminalisés, faisant partie de gangs de rue. Ces perceptions ont transformé une partie de dés en un drame.

Les muralistes qui signeront l’œuvre pour les 100 ans de Montréal-Nord proposeront cinq vignettes illustrant les thématiques suivantes : le vivre ensemble, l’histoire et le patrimoine, l’activité physique, la jeunesse et la nature. Quelque part entre la jeunesse et le vivre ensemble, n’y aurait-il pas une petite place pour l’ébauche du visage du défunt ? Même s’il ne s’agit pas d’un martyr. Un martyr meurt en luttant pour une cause, une idéologie. Fredy Villanueva est mort en voulant protéger son frère. Le jeune homme de 18 ans était au mauvais endroit, au mauvais moment.

« Les travailleurs communautaires et les citoyens interrogés par les médias ont déploré l’attitude agressive des policiers dans leurs rapports quotidiens avec les jeunes du quartier de même que la pratique, apparemment répandue, du profilage racial », écrivait le collègue André Pratte, en août 2008, au lendemain des émeutes.

Sept ans plus tard, la relation entre la police et les citoyens de Montréal-Nord se serait grandement améliorée, nous dit-on. L’arrondissement veut aussi miser sur le bien-être de la collectivité en retenant uniquement « les moments inoubliables », tout en regardant vers l’avenir.

Churchill disait qu’un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre. Hélas, le passé n’est pas tissé que de moments de bonheur. Peu importe ce qu’on en pense, Fredy Villanueva est devenu un symbole des tensions raciales qu’on retrouve à Montréal-Nord… et ailleurs.

Dans son rapport déposé cinq ans après les événements, le coroner André Perreault recommandait au conseil d’arrondissement d’agir pour contrer l’exclusion sociale. La représentation d’un Latino sur une murale qui sera érigée, d’autant plus, à quelques mètres du lieu de sa mort serait un bon début. Non ?

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