Livre Future sex

Où s’en va le sexe ?

De son propre aveu, elle allait faire une « enquête abstraite sans véritable objectif ». Emily Witt, journaliste trentenaire et célibataire, est partie en 2011 à San Francisco enquêter sur tout ce que la sous-culture avait à offrir en matière d’exploration sexuelle.

Résultat ? Future Sex, un livre à mi-chemin entre le parcours initiatique et le reportage journalistique, archidivertissant et franchement décomplexé sur le sexe, la drague en ligne, la porno, les relations et la monogamie, ou ce qu’il en reste.

Oubliez Bridget Jones. Emily Witt avait beau être célibataire et, quelque part, chercher l’âme sœur, dès les premières pages de Future Sex, c’est surtout son approche critique et féministe face au couple monogame, aux relations durables et autres idéaux inatteignables qui transparaît. Sans oublier : son goût avoué d’explorer.

Pourquoi être partie à San Francisco ? « Parce que c’est la place aux États-Unis où il y a la plus vaste concentration de gens qui explorent le plus sexuellement. C’est aussi là que les gens osent le plus parler ouvertement de leurs choix, ce qui, pour une journaliste, rend la tâche plus facile », rit l’auteure, que l’on peut lire dans le New York Times, N+1 et le New Yorker.

Journalisme gonzo

Si elle a d’abord voulu brosser un portrait de tout ce qui se fait là-bas à la troisième personne, Emily Witt s’est vite rendu compte que sa quête était menée par ses propres interrogations existentielles. D’où le texte, finalement écrit au « je », sorte de journalisme gonzo à la fois intime, cru, souvent hilarant, relatant ses expériences de drague en ligne, de webcam, ou pourquoi pas sa séance de méditation orgasmique (pour apprendre à « recevoir » et non « donner »). Si vous voulez tout savoir, oui, elle a fini par jouir, mais seulement en fixant une cafetière.

Dès les premières pages, le ton est donné. À peine arrivée à San Francisco, elle saute du coq à l’âne, ou de la salade de quinoa au coregasme (l’orgasme spontané pendant le yoga), pour décrire tout ce qu’elle vit et tout ce qu’elle voit.

Ce qui est intéressant – et là où le lecteur risque d’accrocher, sinon de s’identifier –, c’est qu’elle commence chaque chapitre (et chaque exploration, des sites de rencontre au festival Burning Man jusqu’aux webcams érotiques et au polyamour) en exprimant ses propres a priori.

En toute sincérité, elle avoue donc qu’elle a longtemps cru qu’en multipliant les aventures sexuelles, elle réduisait ses chances de trouver l’amour (n’est-ce pas ce qu’on dit ?), qu’elle n’a jamais couché avec un homme rencontré en ligne (préférant les amis, non-ex et autres non-relations) ni (en bonne féministe) regardé un film porno. Disons qu’elle revient de loin quand elle part assister au tournage d’un film porno extrême, mettant en scène une femme ligotée et humiliée en public (réalisé par une dominatrice, comme quoi, oui, la porno féministe existe), ou qu’elle raconte sa rencontre avec un couple polyamoureux, assiste à un sex party et couche avec un étranger dans une orgie au festival Burning Man. Chaque fois, elle en profite pour raconter l’histoire d’une tendance, sa genèse, ses contradictions, ses impressions.

Verdict ?

Alors, où s’en va le sexe ? Le sexe du futur, ce ne sera pas avec des robots, croit Emily Witt. Ce qui risque davantage de changer, c’est non pas l’acte lui-même, mais plutôt le récit, ou l’interprétation, qu’on s’en fait. Elle lance d’ailleurs la question : quelle est la différence entre une hétéro qui couche avec des hommes rencontrés en ligne et un gai qui fait pareil ? Entre un homme qui trompe sa femme et un autre qui a une relation polyamoureuse ? « C’est notre langage, nos conceptions du bien et du mal ou les histoires qu’on se fait d’un succès ou d’un échec qui risquent de changer », conclut-elle.

Future Sex, tout récemment traduit de l’anglais et publié au Seuil, est le premier livre d’Emily Witt. Ces jours-ci, elle planche sur son deuxième livre, cette fois sur le cinéma nigérian.

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