Opinion

Requiem pour le cheval à Montréal

Valérie Plante entend bannir les calèches de Montréal, renonçant par le fait même à la construction d’une écurie municipale. Si elle donne suite à cette décision, le cheval disparaîtra de Montréal. Je soutiens qu’il faut plutôt revaloriser le rôle des chevaux dans notre ville.

La position de Projet Montréal

Craig Sauvé, responsable du dossier, soutient que « Projet Montréal a toujours plaidé pour le retrait des calèches à Montréal » (Le Devoir, 21 décembre 2017). Cette affirmation est contraire aux faits.

Le débat a pris place en 2007 par le biais de l’approche commerciale de l’administration Tremblay voulant qu’« en réduisant le nombre de véhicules en circulation, les revenus de chaque exploitant devraient progresser et leur permettre d’offrir un meilleur service ».

J’ai rétorqué au conseil municipal : « Si l’on suit cette logique jusqu’au bout, il ne restera plus qu’une calèche en 2020 et son coût de location sera de 1000 $ l’heure. Mais comme une centaine d’Américains fortunés consentiront à payer ce tarif, l’administration s’exclamera : “ L’industrie de la calèche est enfin rentable à Montréal ! ” »

Ce ne fut bien sûr pas là mon seul argument. J’ai soutenu que le cheval avait été au cœur de la vie des Montréalais et du développement de leur ville durant 300 de ses 375 années d’existence, ce qui fondait le concept de patrimoine vivant. J’ai évoqué le charme que le cheval conférait au Vieux-Montréal.

Je me suis désolé qu’il ne subsiste plus de présence du cheval à Montréal que par le biais d’une activité à la forme presque honteuse, néanmoins à fort prix et, de ce fait, pratiquement réservée aux touristes.

J’ai parlé des yeux des enfants qui s’illuminent dès qu’ils aperçoivent un cheval. J’ai soutenu que tout enfant grandissant à Montréal devrait au moins une fois avoir l’occasion de faire un tour de calèche. J’ai relaté le plaisir infini de ma fille et des amies conviées à son huitième anniversaire quand, regardant par la fenêtre, elles ont vu deux calèches qui les attendaient devant la maison. Enfin, j’ai proposé d’enrichir l’approche commerciale par des volets culturels et éducatifs ne se limitant pas à la seule question des calèches, mais cherchant plus largement à valoriser le patrimoine équin de Montréal.

Cet argumentaire conduisait logiquement à la proposition de construire une écurie municipale jouxtée d’un centre d’interprétation de la contribution du cheval à l’histoire de Montréal, en plus de nous inviter à identifier les divers moyens par lesquels augmenter et valoriser la présence des chevaux dans la vie quotidienne des Montréalais.

J’ai tenu de tels propos chaque fois qu’il a été question des calèches au conseil municipal. La proposition numéro 1 du mémoire de Projet Montréal lors de la consultation publique de l’OCPM sur l’avenir du Vieux-Montréal, fin 2012, était titrée « Revalorisation du cheval en tant que composante du patrimoine vivant de Montréal ».

Le fait est que ce n’est qu’après l’élection de Mme Plante à la direction que Projet Montréal a fait un virage à 180 degrés, au motif que les calèches constitueraient une forme de cruauté exercée contre les chevaux.

Durant 300 ans, dans toutes les situations imaginables, les Montréalais ont fait travailler leurs chevaux. Pas seulement les Montréalais durant 300 ans, mais l’humanité entière durant plusieurs millénaires. Et l’on viendrait nous dire aujourd’hui que tirer une calèche est une cruauté pour ces fragiles bêtes ?

Le destin de l’abattoir

Ceux qui souhaitent la fin des calèches propagent une image bucolique de ce qu’il adviendra des quelques dizaines de bêtes qui, selon eux, souffrent présentement le martyre dans les rues de Montréal : elles seront recueillies par de véritables amoureux des animaux, vivront au grand air, s’ébroueront et paîtront dans des champs luxuriants et recevront tous les traitements médicaux et marques d’affection imaginables. Sans doute que quelques chevaux connaîtront ce sort enviable. Mais la réalité demeure que la plupart prendront le chemin de l’abattoir.

Car c’est oublier que nous vivons à l’ère de l’utilitarisme, voulant que ce qui ne nous est pas utile cesse d’exister. Au retrait de la dernière calèche de nos rues, le cheval aura définitivement fini de nous être utile. Pas seulement les bêtes qui vivent aujourd’hui, mais également la longue suite des générations qui pourraient naître et vivre si nous, les humains, avions à cœur de respecter cette forme attachante et noble s’il en est une du vivant et avions l’intelligence de renouveler son utilité.

Le jour où le tout dernier cheval disparaîtra des rues de Montréal, je verserai une larme. Pas vous ?

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