Coup de gueule Émile Proulx-Cloutier

L’engagement, le vrai

Émile Proulx-Cloutier est le nouveau professeur de la série 30 vies, à ICI Radio-Canada. Le comédien et auteur-compositeur-interprète a réalisé un documentaire sur le rapport maître-élèves avec sa compagne Anaïs Barbeau-Lavalette, Le plancher des vaches, qui sera présenté samedi prochain aux Rendez-vous du cinéma québécois. Discussion sur l’éducation.

Tu avais envie de parler d’éducation. Tu t’es inspiré de profs que tu as eus pour ton rôle dans 30 vies ?

J’ai eu des profs rigoureux. J’ai surtout eu un prof de musique qui était strict au niveau de la discipline, qui était intolérant de tout comportement qui n’avait rien à voir avec la musique. Il nous disait de nous investir, de plonger. Il n’acceptait pas que l’on perde notre temps. Je crois qu’il faisait réagir certains parents, mais je garde un très bon souvenir de lui. Il était très posé, bien mis, raffiné, sa langue était châtiée. Le personnage que je joue ressemble plus à un membre d’Avec pas d’casque qui donnerait un cours de musique au secondaire. Ce que j’ai retenu de mon professeur, c’est sa façon de tirer le meilleur de ses élèves. De voir le potentiel et d’être extrêmement déçu quand il n’est pas exploité.

As-tu vu le film Whiplash ?

Oui ! Là, on est vraiment au-delà de l’éducation. Ce prof-là n’est pas en train de former des musiciens ; il cherche une perle. Mais d’un coup que c’est le seul moyen de mettre la main sur une perle, tu fais quoi ? T’arrêtes d’en trouver ou tu fais comme lui, et c’est inhumain ? Le paradoxe est là. Ça me confronte. Je n’ai pas envie d’être un musicien, un artiste, un père comme ça. Mais je suis convaincu qu’il y a des talents mort-nés parce qu’ils ont été dévalorisés par des figures d’autorité. Des profs ou des parents qui dénigrent ce qu’un jeune fait. Moi, j’ai eu beaucoup de chance.

Beaucoup d’artistes ont souffert que leurs parents craignent qu’ils n’arrivent pas à gagner leur vie de leur art. Ça n’a pas été ton cas. Tes parents sont comédiens…

Beaucoup de parents artistes veulent quand même préserver leur enfant d’une vie d’artiste. Parce qu’ils craignent que leur enfant se casse le nez. C’est une crainte naturelle.

Et légitime !

Le fait de m’être intéressé aux arts m’a mis très tôt en contact avec l’enseignement individuel. Les cours de piano, ça se donne un à un dans un cubicule. Ça m’a fait du bien, dans une certaine sphère de la connaissance, d’avoir ce contact-là. On ne valorise pas beaucoup ça à l’école, ni avec les plus doués ni avec les moins doués. Ce n’est pas grave de reconnaître qu’on n’est pas égaux. Les notes et la moyenne le manifestent. Je ne sais pas ce que ça prendrait – j’en ai souvent discuté avec des amis profs –, mais ce serait vraiment intéressant que le système non seulement n’échappe pas un élève moins doué, mais surtout ne laisse jamais s’emmerder un élève doué. Je suis persuadé qu’il y a des profs qui se désolent de ça.

Les profs que tu connais trouvent que ce sont surtout les doués qui sont laissés pour compte ?

J’ai surtout l’impression que l’on craint le mot « élitiste ». Pour que des talents se développent et que l’on règle aussi le problème de l’analphabétisme fonctionnel, il faut investir de l’énergie des deux côtés. Ça fait 50 ans qu’on a l’éducation publique obligatoire ; je ne peux pas expliquer le taux de 49 % d’analphabétisme fonctionnel. Je ne suis pas du tout un spécialiste de l’éducation, mais puisque je joue un prof à la télévision et qu’on vient de faire un documentaire sur un mode d’enseignement particulier, je m’y intéresse beaucoup en ce moment. Les profs m’en parlent beaucoup.

Qu’est-ce qu’ils te disent ? Philosophiquement, on est à une époque qui préfère masquer les différences et le décalage entre les meilleurs et les moins bons.

Il faut donner aux profs les moyens de générer des coups de foudre. Pas seulement pour la poésie et la littérature, mais aussi pour l’algèbre. Je pense qu’il y a des passions de profs qui sont éteintes. Parce que leurs conditions de travail font en sorte qu’ils ne tiennent pas le coup. A-t-on vraiment les moyens de se priver de ces gens-là qui, dans un autre contexte, auraient pu déployer tout leur talent ?

Il me semble clair qu’on ne valorise pas beaucoup la fonction de prof dans notre société…

On dirait que l’on considère qu’être professeur, ça fait partie de la vie. Comme si c’était une job comme une autre. Alors que l’on a des attentes démesurées envers les profs. Je fais un métier qui est hyper valorisé. On gagne des trophées parce qu’on a été drôle. Je pense que, sans faire dans le drame, il y a une carence associée à la fonction de professeur en comparaison de ce que l’on attend de lui. Je ne suis pas sûr que j’aurais envie d’être prof aujourd’hui. Ça prend beaucoup de courage. Je suis content de faire semblant !

On a aussi décidé, comme société, que ce n’était pas un métier qui méritait une rémunération importante.

Le salaire, c’est une chose. Les conditions dans lesquelles tu travailles, les moyens qu’on te donne pour transmettre ce que tu brûles de transmettre, c’en est une autre. Créer ce cadre-là, qui permet à des étudiants de s’élever. Je comprends qu’on se serre la ceinture collectivement, mais a-t-on vraiment demandé aux profs ce dont ils ont besoin ? On menace d’acheter moins de livres pour les bibliothèques scolaires, on menace l’existence de l’aide aux devoirs. Ça n’a pas de sens. On peut se serrer la ceinture, mais on ne se serre pas le cerveau ! On ne rogne pas là-dessus. On ne rogne pas sur les services essentiels. C’est essentiel d’avoir droit à un contexte d’éducation qui soit propice à faire fleurir des talents sans négliger ceux qui ont plus de difficultés. On parle d’engagement. Nous, les artistes, on est estampillés « engagé » dès que l’on fait la moindre chose dans l’espace public. Mais être prof, c’est un tout autre engagement. C’est faire un show de théâtre, huit heures par jour, cinq jours par semaine, devant un public qui ne t’applaudit jamais !

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