Entrevue

Pierce Brosnan  a le goût du bonheur

La vie ne l’a pas ménagé et il a dû brusquement rendre le smoking de James Bond. Mais l’élégance de l’acteur lui interdit de se plaindre.

Il a choisi son arme : un sourire à toute épreuve. À l’approche de la cinquantaine, Pierce Brosnan a tout recommencé. Avec Keely, sa femme depuis 2001, l’ancien James Bond découvre désormais l’art paisible d’être grand-père. Les drames, il les réserve au cinéma. Dans The Foreigner, en salle le 8 novembre, l’acteur endosse le costume d’un premier ministre d’Irlande du Nord rattrapé par son passé de terroriste. À 64 ans, l’éternel gentleman assume aussi son désir de renouer avec des rôles moins… nuancés. « On veut tous être un héros cool qui se sort de situations inextricables, couche avec des créatures sublimes et sort des répliques cultes. C’est pour ça qu’on fait ce métier ! »

Oublié 007, son flegme insolent. Fini, les cascades à haut risque et les défis impossibles. L’ancien James Bond est désormais passé au service de sa majesté Marley, sa petite-fille de 2 ans. « Je peux changer une couche en moins de 10 secondes et me déplacer dans le noir, le bébé dans les bras, sans trébucher. » Pour la préparation du biberon, le grand-père appliquerait la recette du Martini Dry de James : « Au shaker, pas à la cuillère. » Certains emplois marquent à vie.

Il y a 15 ans que Brosnan a rendu son permis de tuer. Mais il n’a rien oublié. De sa joie passée, ni de sa déception pour avoir été limogé sans frais. Il déclare alors : « C’est une douleur inouïe. Un trauma qui laisse un vide immense. » Mais l’acteur a de la ressource. Toute son existence, il a appliqué l’art de tourner la page : « Sortir la bonne phrase au bon moment, quitter la scène et ne pas se prendre les pieds dans le tapis, c’était ça, mon rêve… être Cary Grant. » Dans la vie, comme au cinéma, c’est ce qu’on appelle l’élégance.

Enfance difficile

Enfance irrespirable près de Dublin. Le père, charpentier, est alcoolique. Il est parti. La mère aussi. Pierce est ballotté entre des amis et ses grands-parents. À l’école religieuse de Navan, dans l’ombre de la chapelle, l’orphelin subit la brûlure des « sangles qui giclent des soutanes comme des langues de vipère ». À 12 ans, il peut rejoindre sa mère à Londres. Mais il ne trouve sa place nulle part. 

Comme des millions d’Irlandais avant lui, il rêve de l’Amérique, ce pays où personne n’a de racines, et de fonder une famille unie pour la vie. Il était le garçon qui bidouillait sa voix et ses manières pour se fondre dans le décor anglais. Il sera l’immigré qui gomme son allure british. Un acteur. Un film l’a marqué. Son tout premier au cinéma. Goldfinger. « Le Technicolor, la musique de Monty Norman, les voitures, les femmes nues… C’est un moment décisif de ma vie. » 

Sa première femme, Cassandra Harris, sera d’ailleurs une ancienne James Bond girl. Est-ce pourquoi elle rêve de le voir dans le costume de l’agent au double zéro ? Elle lui a même présenté le producteur de la saga, Albert Broccoli. Il touche son rêve du doigt.

C’est avant que l’horreur ne le rattrape, à Los Angeles en 1991. Cassandra meurt d’un cancer dans ses bras. Elle lui laisse ses deux enfants Charlotte et Christopher, et le fils qu’ils ont eu ensemble, Sean.

Brosnan est veuf avec trois gosses à élever. Un héros invisible qui refuse des films pour assumer tous les rôles à la maison. Mais il croit aux signes. Cassandra voulait qu’il soit James Bond, il le sera. Quatre ans après sa mort.

Avec Goldeneye, en 1995, Brosnan devient le cinquième acteur à incarner le héros de Ian Fleming. Il est le gentleman impeccable prêt à dégainer son arme comme les répliques cultes. Suivront Demain ne meurt jamais, Le monde ne suffit pas et Meurs un autre jour. « J’ai sauvé quatre fois de suite la planète. Et j’ai sauvé la franchise. » Au total, 1,5 milliard de dollars de recettes au box-office. Mais le monde comme l’industrie hollywoodienne savent se montrer ingrats. On lui demande de rendre le smoking.

Il y aura d’autres tragédies dans sa vie. Christopher et l’héroïne. L’accident de Sean. Pierce Brosnan se souvient encore avoir hurlé à la mort, à 150 km/h sur l’autoroute, alors qu’il rejoignait le lieu où son fils de 16 ans luttait pour survivre, prisonnier de la carcasse de sa voiture. Puis, en 2013, Charlotte qui succombe au « tueur silencieux » qui a déjà emporté sa mère. L’Irlandais ne rend pas les armes. Il a pour alliées sa foi catholique, mâtinée de bouddhisme, et sa capacité à traquer la lumière dans les heures les plus sombres, comme dans les poèmes qu’il écrit : « Ma tête est invaincue, mon esprit, trempé d’Irlande. Je crois que de tout cela naîtra une beauté. »

Et qu’importe s’il a envie de pleurer. Au cinéma, il s’essaie à tous les genres. Cette capacité de résilience est une force qui lui permettra de retrouver l’amour. Avec la journaliste Keely Shaye Smith, sa femme depuis 16 ans, l’acteur aura deux fils, Dylan et Paris.

Nostalgie

Il avoue pourtant que la nostalgie le prend encore à chaque nouveau film d’action dont il n’est pas le héros. Comme s’il avait des fourmis dans son Walther PPK, le légendaire pistolet de Bond. Il résiste : « J’ai trop attendu… Et puis je n’aime pas les armes, mais… même un flingue de cinéma procure un frisson. Quelque chose à voir avec la sexualité, le pouvoir, le danger, la peur. Ces choses un peu toxiques. » 

La naissance d’une petite-fille lui aurait-elle rendu sa jeunesse ? À 64 ans, Pierce Brosnan renoue avec les thrillers et les drames. Dans la série The Son, il est le chef sanguinaire d’une dynastie texane. Dans le film The Foreigner, un terroriste de l’IRA devenu premier ministre. Un besoin d’incarner la vie, la mort, les larmes, la fureur. Quitte à y perdre sa distance si distinguée. 

Mais la nostalgie du MI6 est derrière lui, jure-t-il. Récemment, pourtant, il n’a pas résisté à rendosser la panoplie de l’espion. Pour une pub indienne. Il y fait la promotion d’un tabac à chiquer en se battant à mains nues… On a commencé par ricaner. Puis, comme d’habitude, il a laissé tomber la petite phrase qui dans sa bouche sonne si vrai, et tout était pardonné. Elle lui ressemblait tant : « La classe ne se démode pas. »

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