À quoi rêvent les Québécois ?  Chronique

Politique et rêve, mode d’emploi

Les politiciens peuvent-ils encore être des vecteurs de rêve ?

Grave question à laquelle la majorité des Québécois répondraient probablement NON. Triste constat, confirmé par notre sondage CROP.

Pourtant, certains politiciens, ici et ailleurs, nous ont fait rêver. Le dernier en date, pour bien du monde, c’est sans doute Barack Obama, une étoile politique montée au firmament à la vitesse de la lumière. L’exercice du pouvoir et les contraintes partisanes de la politique américaine auront probablement freiné sa course et fait pâlir le rêve, mais le premier président noir des États-Unis est entré à la Maison-Blanche porté par une vague d’espoir.

Bien avant l’élection de Barack Obama, un autre grand leader canalisait les rêves de ses compatriotes en Afrique du Sud : Nelson Mandela, probablement le plus grand porteur d’espoir des 50 dernières années.

Il y a eu aussi Martin Luther King, dont le célèbre discours « I have a dream » a marqué le monde entier.

Obama, Mandela, MLK. Ce n’est pas un hasard si ces trois leaders noirs se sont taillé dans l’Histoire une belle place de porteur de rêve. Pour leurs partisans, ils représentaient la lutte pour l’égalité, la fin des injustices, l’aspiration à une vie meilleure. C’est sans doute la première condition pour faire rêver en politique : avoir une vision, défendre des idéaux nobles et de grands principes qui dépassent largement les intérêts et les gains politiques à court terme. Au risque de se faire assassiner, emprisonner ou détester par une portion non négligeable de la population.

Avoir un message fort, porteur et grand, donc, condition numéro un pour faire rêver en politique. Il y a deux autres conditions : savoir faire passer son message et savoir saisir le bon moment pour le faire.

Pas étonnant que des leaders résistants en temps de guerre (Winston Churchill et le général de Gaulle, notamment) aient su toucher et inspirer leurs compatriotes. Se libérer est, pour un peuple, le plus grand des rêves. Churchill et de Gaulle se sont levés au moment crucial, ils avaient un message fort et ils ont su trouver les mots pour le faire entendre. Relire, à ce titre, le discours « Paris libéré » de De Gaulle.

D’autres grands chefs d’État ont su faire rêver leur peuple : Roosevelt avec le New Deal, John F. Kennedy lors de sa prestation de serment en janvier 1961 et le fameux « Ich bin ein Berliner » de juin 1963, Nelson Mandela à son arrivée au pouvoir en 1994 et deux discours majeurs de Barack Obama : sur les relations interraciales aux États-Unis en 2008 et le fameux « Yes we can », le soir de son élection en novembre de la même année.

Et ici, au Québec ou au Canada, nos politiciens sont-ils encore capables de nous faire rêver ? Posons la question autrement : quels sont les élus qui vous ont fait rêver ici ? Je crois bien que le nom de René Lévesque reviendrait souvent dans les réponses des Québécois parce qu’il a su, avec des mots simples et une conduite intègre, canaliser leurs rêves d’émancipation tout en cultivant leur fierté.

Jean Drapeau a su lui aussi faire rêver les Montréalais avec ses grands projets, dont on a surtout retenu, aujourd’hui, les coûts faramineux. Avant de devenir un éléphant blanc dans l’est de Montréal, le Stade olympique a surtout symbolisé le rêve de rejoindre le club sélect des grandes villes, et avant d’être l’objet de l’exaspération des usagers des transports en commun, le métro de Montréal était une grande avancée technique et urbanistique pour la métropole.

Il serait sans doute exagéré de dire que Robert Bourassa a fait lui aussi rêver ses compatriotes, mais il est juste de dire que les travaux colossaux de la Baie-James ont fait rêver les Québécois et représentent encore aujourd’hui un objet de grande fierté pour eux.

Et aujourd’hui, quels politiciens font rêver ? Sans vouloir être trop déprimant, disons que l’époque n’est pas très propice aux rêves. Peut-être est-ce à cause du « syndrome olympique » ou de l’essoufflement de l’option souverainiste, qui a nourri les rêves de toute une génération.

Sommes-nous en panne de rêves ? Plutôt en pénurie de porteurs de rêve, je dirais.

Reprenons nos trois conditions : vision et idéaux, charisme et circonstances favorables.

Les idéaux ? Il faudra vraisemblablement plus que le retour de l’équilibre budgétaire pour faire rêver les Québécois. Plus, aussi, que le rêve d’indépendance, qui fait fuir les électeurs dès qu’on dit son nom.

Il y a aussi le fourre-tout « créer de la richesse », un concept vertueux assez mal défini repris à toutes les sauces.

Le moment propice ? Faudrait d’abord savoir propice à quoi, ce qui nous ramène au point A.

Quant au charisme, le Québec semble en rupture de stock.

Nous sommes dans un creux de vague, ce qui nous laisse, pour tout rêve, celui d’imaginer le prochain politicien qui nous fera rêver. Mais il faut bien dire aussi que nous ne sommes pas toujours cohérents à cet égard : on voudrait que nos élus nous fassent rêver avec de grands projets ou une vision ambitieuse et audacieuse, mais on les descend très souvent au décollage lorsqu’ils se mettent à rêver à voix haute.

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