virée avec l’escouade mobilité

À la chasse aux  hors-la-loi de la mobilité

En campagne électorale, Valérie Plante avait promis une escouade pour assurer une plus grande mobilité dans la ville. La mairesse de Montréal a tenu parole. Afin de voir les effets et les pouvoirs de cette brigade, notre chroniqueur Mario Girard a accompagné l’un des inspecteurs lors d’une virée quotidienne. Récit d’une tournée forte en infractions, contraventions et gros mots.

La culture du « je fais ce que je veux »

Il était près de 7 h, mercredi dernier, lorsque Paolo Galleguillos, l’un des six inspecteurs de l’escouade mobilité de la Ville de Montréal, est venu nous cueillir à La Presse. En compagnie du photographe David Boily, nous sommes partis à la recherche de situations qui créent des entraves au centre-ville de la métropole.

Repérer les situations problématiques, traquer les contrevenants, intervenir rapidement afin de favoriser la fluidité, voilà le mandat de l’escouade mobilité créée par l’administration Plante et lancée officiellement en août dernier (voir autre texte).

Nous roulons depuis quelques minutes à bord d’un véhicule dûment identifié quand un appel du Centre de gestion de la mobilité urbaine (CGMU) nous informe qu’un camion muni d’une remorque bloque partiellement l’unique voie de la rue Jeanne-Mance, au sud du boulevard René-Lévesque.

Nous sommes sur place en quelques minutes. L’imposant véhicule est garé à moitié sur le trottoir, à moitié sur la chaussée. L’entrepreneur privé, propriétaire du camion, a été mandaté pour effectuer des travaux dans l’édifice Guy-Favreau. Trois employés viennent rapidement vers Paolo Galleguillos. Ce dernier veut d’abord vérifier leur permis. Les employés sont hésitants.

« On va appeler notre superviseur », dit l’un d’eux. Celui-ci arrive quelques minutes plus tard. Paolo Galleguillos, responsable du très grouillant secteur Ville-Marie (avec ses 30 000 demandes de permis par année), découvre qu’une demande de permis a été faite, mais que l’autorisation n’a pas été officiellement donnée.

« Quessé que tu veux ? Qu’on décrisse ? Saint chrême, c’est rendu qu’on ne peut plus faire notre travail », dit un employé, visiblement ulcéré.

Le ton coloré et intimidant souvent adopté par les employés fautifs, c’est le lot quotidien des inspecteurs de l’escouade mobilité. Parfois, la situation peut devenir tendue. Paolo Galleguillos, un gaillard qui intervient toujours seul, a dû faire appel à des agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) à une dizaine de reprises depuis le mois d’août.

« La culture du “je fais ce que je veux” est bien ancrée, explique Philippe Sabourin, porte-parole de la Ville de Montréal, présent lors de notre tournée. Le message passe et il passe rapidement. L’escouade mobilité est de plus en plus connue. »

Dans le premier grand froid de l’année, Paolo Galleguillos explique calmement aux travailleurs qu’ils doivent obtenir leur permis et ensuite créer une signalisation en bonne et due forme qui leur assurera une place réglementaire pour stationner leur véhicule.

« Bon ben, si c’est comme ça, on s’en va. Awaille, les gars, on décâlisse », lance un employé du groupe.

« Je ne suis pas trop du genre à offrir des avertissements, dit Paolo Galleguillos. Peu importe le verdict, ils vont recevoir une amende. Si leur permis est accordé, ils vont recevoir un constat pour non-respect du permis. Si le permis n’est pas délivré, ils vont en avoir un pour occupation d’un espace sans autorisation. C’est le juge qui va décider de l’amende. »

Une délinquance qui est partout

Il est 7 h 50 quand le CGMU signale la présence d’un puits d’accès, à l’angle du boulevard Robert-Bourassa et de la rue Saint-Jacques, laissé sans surveillance. « Il y a beaucoup de piétons qui passent par là à cette heure-ci, dit le répartiteur sur la radio émettrice. C’est dangereux. »

À notre arrivée, le puits d’accès a été sécurisé par les employés chargés de faire des travaux de câblodistribution. Deux véhicules de leur entreprise sont garés rue Saint-Jacques. Le problème, c’est que les employés n’ont pas le droit de commencer les travaux avant 9 h 30.

Dès que Paolo sort de son véhicule, trois employés viennent rapidement à sa rencontre, le sourire aux lèvres. Ils connaissent visiblement le rôle de l’escouade. Le tout se soldera par une promesse des employés de ne pas mettre les travaux en branle avant l’heure permise par les règlements concernant les artères névralgiques.

« Le rôle de l’escouade est d’assurer, dans un contexte où il y a un nombre impressionnant de chantiers à Montréal, que d’autres facteurs n’aggravent pas la situation, explique Philippe Sabourin. Mais son rôle est aussi de veiller à la sécurité des citoyens. »

L’entreprise chargée d’effectuer ces travaux est engagée par un important câblodistributeur. Petite, moyenne ou grosse entreprise, Paolo Galleguillos ne fait pas de différence. « Il y a des entreprises très importantes mandatées pour réaliser d’énormes projets à Montréal et qui ne respectent pas les règles, dit-il. Elles sont toutes un peu délinquantes. Tout le monde s’essaie. »

Le Big Brother de la circulation

Plus tard dans la matinée, nous nous arrêtons au Centre de gestion de la mobilité urbaine. Les bureaux sont situés dans l’édifice Louis-Charland, angle Brennan et Prince, dans le Vieux-Montréal. Trois employés guettent en permanence une multitude d’écrans qui relaient des images fournies par les 525 caméras de surveillance installées aux quatre coins de la ville. Ici c’est le Big Brother de la circulation.

Norman Gaudette, agent technique au CGMU, nous montre une carte numérique indiquant la position et le fonctionnement (en direct) des feux de circulation de la Ville de Montréal. Grâce à un système de fibres optiques, les techniciens du CGMU peuvent découvrir en temps réel la défectuosité de certains feux, régler le problème à distance ou, si c’est nécessaire, dépêcher des agents du SPVM pour prendre le relais.

Les caméras de surveillance, rebaptisées R2D2 par les techniciens, permettent de découvrir les situations qui méritent la présence des inspecteurs de l’escouade mobilité. « Il n’y a pas si longtemps, on a vu un livreur qui avait stationné son camion sur la voie réservée aux autobus, raconte Norman Gaudette. C’est tout de même incroyable. Pour moi, le transport en commun, c’est sacré. Tu ne touches pas à ça. »

Des histoires liées à la mauvaise foi et au manque de professionnalisme de sociétés faisant des travaux, l’équipe du CGMU peut en raconter des tonnes. « Je me souviens d’une entreprise qui pompait de l’eau dans un trou d’homme, raconte Norman Gaudette. Ils avaient fait passer le boyau sur la rue. Un autobus est arrivé, le boyau s’est pris dans les roues, l’extrémité du boyau s’est levée et s’est mise à aller dans les tous les sens. Résultat, un piéton a été blessé. »

À quoi sert l’escouade mobilité ?

Lancée officiellement le 22 août dernier (mais en fonction depuis le mois de mai), l’escouade mobilité comprend six inspecteurs. Le groupe se partage les arrondissements de Ville-Marie, du Sud-Ouest et du Plateau-Mont-Royal. L’objectif de l’administration Plante est d’étendre éventuellement l’escouade à d’autres arrondissements.

Cinq inspecteurs sillonnent les artères des trois arrondissements ciblés de 5 h à 11 h, du lundi au vendredi. Un sixième inspecteur prend la relève pour le reste de la journée jusqu’à 23 h. Cinq véhicules constituent le parc de l’escouade.

Le budget annuel de fonctionnement de l’escouade mobilité est de 619 000 $. Pour sa première année, le ministère des Transports y est allé d’une participation de 500 000 $.

L’escouade intervient auprès de travailleurs des secteurs privé ou public qui ne respectent pas les règlements et qui, dans bien des cas, créent des entraves à la circulation. 

À Montréal, 25 % des travaux sont réalisés par des employés municipaux alors que le reste est assuré par des entreprises privées ou d’utilité publique (gaz, câblodistribution, électricité, téléphonie, etc.).

Les activités de l’escouade englobent également les problèmes inhérents à la livraison. Les stationnements illégaux qui bloquent la circulation sur la chaussée, une piste cyclable ou une voie réservée sont une importante source de problèmes.

Enfin, plusieurs interventions touchent les signalisations faites par des entreprises privées à l’aide des fameux cônes orange. Ceux-ci peuvent rester en place longtemps, et inutilement, après la fin des travaux.

Les inspecteurs de l’escouade mobilité ont le pouvoir de remettre des contraventions aux travailleurs faisant des travaux et qui ne respectent par les règlements municipaux. En ce qui a trait aux stationnements illégaux liés à la livraison, ils doivent s’en remettre aux agents de stationnement ou aux policiers de Montréal.

Depuis le début des opérations, en mai dernier, les inspecteurs de l’escouade mobilité ont mené près de 3000 interventions.

Un atout pour le CGMU

Le Centre de gestion de la mobilité urbaine (CGMU) de la Ville de Montréal a été créé en septembre 2014. Opérationnel 24 heures par jour, il est l’une des composantes du Plan stratégique des systèmes de transport intelligents de la Ville de Montréal. L’arrivée de l’escouade mobilité, en août dernier, est venue enrichir son rôle et son pouvoir.

« Nous avons une plus grande souplesse et nous pouvons intervenir beaucoup plus rapidement pour régler les problèmes », explique Hugues Bessette, chef de division au CGMU. Ce dernier nous raconte la fois où un matin, des cônes qui avaient été placés durant la nuit lors d’une opération de traçage s’étaient dispersés sur le boulevard Robert-Bourassa.

« C’était le bordel. On a dépêché un inspecteur et le problème a été réglé au bout de sept minutes », souligne fièrement Norman Gaudette, agent technique.

Cette situation problématique a d’abord été soulevée par un chroniqueur responsable de la circulation d’une radio montréalaise. Ces chroniqueurs sont devenus « les meilleurs amis » des employés du CGMU.

« On les écoute à la radio et on échange de l’information avec eux, dit Norman Gaudette. Par eux, on reçoit l’information du public. De notre côté, on peut leur confirmer qu’un problème est réglé ou sur le point de l’être. »

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