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Ron Fournier, 30 ans au micro

Flamboyant. Imprévisible. Entier. Seul derrière son micro, Ron Fournier s’emporte, hoche la tête, gesticule. Tantôt assis, tantôt debout. Soir après soir, il entre en ondes avec la fougue d’une recrue qui saute sur la glace. C’est comme ça depuis 1987. Le cœur y est toujours, mais l’énergie finira-t-elle par lui faire faux bond ? À 67 ans, cette pensée commence à l’effrayer, admet-il. Il n’est pas prêt à voir son chandail retiré. Ses fans, encore moins.

À la barre de la tribune téléphonique Bonsoir les sportifs, Ron Fournier attire 300 000 auditeurs, selon les PPM de mars 2017. Son émission – la plus vieille au pays ! – est la plus écoutée en soirée, récoltant près du tiers des parts de marché. Après 30 ans, c’est un véritable tour de force. À l’écoute ? Essentiellement des mordus de sports, fans du Canadien.

« Le monde est encore là, tabarouette ! Il faut croire que je ne parle pas dans le vide », se réjouit l’animateur, rencontré dans les studios de la station 98,5 FM.

« La radio, c’est une passion. Ce qui m’effraie ? C’est qu’à un moment, je n’aie plus l’énergie nécessaire pour poursuivre avec autant de drive, de fun, de sourires. J’aimerais avoir 27 ans… »

De nombreux fidèles

« Comment vous sentez-vous à l’approche des séries ? », demande Ron Fournier au micro, alors que le Tricolore vient de s’assurer d’une place en première ronde éliminatoire. Les 12 lignes sont déjà pleines, lui glisse à l’oreille le réalisateur Geoffroy Morin. Pour la forme, l’animateur, tiré à quatre épingles, rappelle néanmoins les numéros pour le joindre. Des auditeurs patientent jusqu’à 45 minutes pour obtenir un bref tour de parole. De plus en plus de femmes sont au bout du fil. À l’occasion, des enfants.

Le hockey est une religion au Québec, dit-on. Dès que « le prophète » – surnom donné par Paul Arcand – se prononce sur les hauts et les bas de la sainte Flanelle, les nombreux fidèles sont suspendus à ses lèvres. Que pense-t-il du retour de l’entraîneur Claude Julien ? Des prouesses de Carey Price ? L’ancien arbitre de la LNH ne se fait pas prier pour donner son opinion. À sa manière. Parfois même en chanson.

Parce qu’il s’exprime au micro de façon quasi quotidienne, il entretient un lien privilégié avec son public. Sa voix agrémente la soirée d’un gardien de sécurité, tient compagnie à une dame âgée, garde éveillé un camionneur, réconforte l’expatrié outre-mer, s’invite même dans la chambre à coucher. « La radio est le médium le plus merveilleux, dit-il. C’est instantané, relax. On ne s’enfarge pas dans les fils et la technique. J’aime le contact direct avec les gens. »

Du ciment social

Ron Fournier est un générateur de lien social, estime Pierre Barrette, professeur à l’École des médias de l’UQAM. « Le blabla autour du hockey, ou de la météo, est aujourd’hui du ciment social. Ron Fournier alimente cette machine et donne du caractère à ce babillage ininterrompu », dit-il. La tribune téléphonique, la « ligne ouverte », nouveau perron d’église.

Du babillage, certes, mais pas n’importe comment. Sous ses airs bouffons, Ron Fournier a le souci du travail bien fait, du respect dans les échanges et de l’intérêt des auditeurs.

« Les gens s’attendent à ce que l’émission les fasse rire un peu, les détende un brin. C’est un rendez-vous quotidien important dans la vie de certains. On a le devoir d’être performant, pertinent, pas redondant. »

— Ron Fournier

C’est sans mettre de gants qu’il rabroue les auditeurs au bout du fil. « Si vous appelez et que vous ne faites pas bien ça, je suis à l’aise de vous couper après 30 secondes et vous dire que ç’a assez duré. Préparez-vous mieux la prochaine fois », avise l’animateur.

Lui-même arrive au bureau vers 15 h 30, cinq heures avant le début de son émission. « Je surveille l’actualité sportive dès le matin. Je vais aux sources, je fais 20 appels par jour… et on me rappelle », insiste-t-il. Son carnet de contacts est bien garni. « Un jour, Jacques Demers m’a téléphoné pour me demander le numéro de Wayne Gretzky », dit-il, fier d’être une référence dans le milieu.

Dérapage contrôlé

Avec les années, l’animateur a poli son style et gagné en crédibilité. « Maintenant que je maîtrise les bases du métier, je peux me laisser aller et risquer de passer pour un clown, de chanter. Je fais des efforts pour me renouveler, me garder up to date. Quelle est ta clientèle, Armand ? Les femmes, les jeunes, ils sont à l’écoute, tu dois faire les choses correctement », lance-t-il en parlant de lui-même.

« Si tu converses en ondes avec Ron, oublie ton plan de match. Après trois minutes, il t’amène ailleurs, dit son collègue Martin McGuire, descripteur des matchs du Canadien pour 98,5 FM. Il est spontané, vrai, ça donne de bonnes discussions. »

Sourire en coin, Ron Fournier dit aimer quand « ça dérape un peu, pour le show », à l’image d’« une bonne bagarre à l’entraînement ». « C’est inattendu, ça fait réagir les gens. » Ces dérapages doivent être contrôlés, précise-t-il. Il est arrivé qu’il cafouille, qu’il hausse le ton, que ses paroles dépassent sa pensée. Ces fois-là, il s’en est mordu les doigts. Parfois, il en a été tracassé pendant des jours.

Une marque forte

« Ron Fournier est une marque forte, indique André Richelieu, professeur de marketing et de gestion du sport à l’UQAM. Il a un style unique, exubérant, qui l’habille bien, et il sait pertinemment de quoi il parle. Oui, il va chanter, il va interrompre ses auditeurs et les provoquer. Comme il est compétent et authentique, il peut se le permettre tout en restant crédible. »

« Il a su se construire une niche dans le milieu radiophonique sportif francophone, comme Don Cherry au Canada anglais. Il crée une proximité avec le public, tout en maintenant une forme d’inaccessibilité. On l’approche, mais on ne le touche pas. Il reste sur un piédestal. »

— André Richelieu, professeur de marketing et de gestion du sport à l’UQAM

Parce qu’il réussit, dérange et brise les conventions, l’animateur a son lot de détracteurs. « Les marques les plus fortes sont adorées des uns, détestées des autres, précise le professeur. Les gens qui jugent n’ont parfois pas le recul pour comprendre le phénomène. Plus le milieu est petit, plus il y aura des bien-pensants qui vous regarderont de haut. »

Ron Fournier est conscient qu’il ne fait pas l’unanimité. « C’est certain qu’il y a des gens qui ne peuvent pas me sentir. Par jalousie, parce qu’ils ne m’aiment pas la bette. Quand j’étais arbitre, on me critiquait tout le temps, j’ai la couenne dure. Je reçois une centaine de courriels par jour. On me flatte, on m’attaque. “T’es pourri, prends donc ta retraite !” Je fais : delete, delete, delete. Ces gens sont malheureux. Ça ne m’affecte pas. »

La mort pour se reposer

L’homme, dont la notoriété transcende les frontières de la planète hockey, préfère se laisser submerger par la vague d’amour qu’il reçoit des fans. La popularité est grisante, confie-t-il. « Je me demande sérieusement ce que serait ma vie si je n’étais pas aussi populaire. Être apprécié, reconnu, c’est formidable. » Bon joueur, il serre des mains et signe des autographes dès que l’occasion se présente.

Depuis 30 ans, l’animateur fait le plein de beaux souvenirs. Il se rappelle avec émotion la mort de Maurice Richard. Jeune, il avait joué au hockey avec ses fils dans Ahuntsic. « J’ai été le premier à annoncer son décès en ondes », dit-il, la voix basse. Il évoque fièrement son implication dans le retrait du chandail d’Émile Butch Bouchard en 2009. « Je devais faire comprendre aux plus jeunes l’importance de Butch. Mes entrevues avec des vénérables comme Milt Schmidt et Gordie Howe sont des moments marquants. »

Mais l’heure n’est pas à la nostalgie. Il a du pain sur la planche, les séries sont à nos portes. « Nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer », dit-il en citant George Moustaki. La retraite ? Ça viendra. Dans un an, trois ans ou dix ans. « Quand le moment sera venu, je vais me lever un matin, je vais rentrer au bureau et je vais dire mon boss : c’est terminé. Je vais tous vous prendre par surprise… C’est ma nature. »

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En quelques dates

3 août 1949

Ronald Fournier voit le jour dans Ahuntsic, à Montréal. Il a un frère et une sœur.

1967

Gardien de but, il joue pour les Rangers de Drummondville, dans le junior.

1968

À 19 ans, il arbitre ses premiers matchs de hockey pour les loisirs de la Ville de Montréal.

1979

Après avoir arbitré quelques années dans la Ligue américaine et l’Association mondiale de hockey, il se joint officiellement à la LNH.

1987

En raison de différends avec ses patrons, il quitte son poste d’arbitre, avant les séries. Michel Tremblay, patron des sports à CJMS, lui offre un poste d’animateur de radio. Il anime l’émission C’est officiel !

2007

Brève incursion à la télévision, à TVA et à LCN. Il avait déjà fait partie de l’équipe de La soirée du hockey à Radio-Canada.

2014

Ron Fournier signe une prolongation de contrat de cinq ans, jusqu’en 2019.

2017

Ron Fournier célèbre 30 ans de radio.

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