Notre choix

Au royaume de Louise Penny

Au royaume des aveugles : Armand Gamache enquête – 14
Louise Penny
Flammarion Québec
448 pages
Quatre étoiles

Pour la 14e fois, Louise Penny est de retour avec les enquêtes d’Armand Gamache. Malgré les tomes qui s’accumulent, les aventures de l’inspecteur de la Sûreté du Québec (SQ) ne semblent pas sur le point de s’essouffler. Et avec ce nouvel opus tout en profondeur, l’auteure montre qu’elle est assurément maîtresse de son royaume.

Cette fois encore, le mystère est campé en plein cœur du village fictif de Three Pines, dans les Cantons-de-l’Est – région bien réelle, où l’auteure originaire de Toronto habite dans la vraie vie. On retrouve Armand Gamache alors qu’il a été suspendu de la SQ, dont il était le grand patron, pour avoir laissé s’échapper une quantité non négligeable d’opioïdes. En attendant son verdict, il a toutefois largement de quoi s’occuper : un matin de tempête, il est convoqué dans une maison de ferme abandonnée, où il apprend que lui et deux autres de ses compagnons ont été désignés comme exécuteurs testamentaires. Seul hic, la défunte est une femme qu’ils n’ont jamais connue, apparemment sans le sou, mais qui veut léguer des millions de dollars à sa famille. Peu de temps après, un meurtre survient, mettant en branle une enquête où tous les éléments s’emmêleront. Car l’inspecteur tente en même temps par tous les moyens de récupérer les drogues perdues, qui pourraient avoir des conséquences désastreuses si elles se retrouvaient en circulation dans les rues de Montréal.

Avec son Royaume des aveugles (traduction de Kingdom of the Blind, version originale sortie l’automne dernier), l’auteure tisse une toile touffue, sombre par moments, dont les différentes ramifications finissent bien sûr par se compléter. Elle construit ici un récit fascinant et palpitant, même si, soyons honnêtes, un ou deux dénouements s’avèrent un peu faciles à prédire. Mais au-delà des histoires de détournements de fonds, de meurtres et de drogues, on prend surtout plaisir à s’immerger dans l’atmosphère créée par Penny, qui rend hommage à l’hiver glacial au Québec : les pas qui crissent sur la neige, la chaleur d’un bon feu de bois, ou encore les arômes d’un coq au vin et d’une tarte aux pommes. On sent, à travers sa galerie de personnages sympathiques, tout l’amour qu’elle porte à sa province d’adoption. On se souviendra d’ailleurs que c’est Louise Penny qui avait invité les Clinton au Manoir Hovey de North Hatley, à l’été 2017, afin de leur faire découvrir l’Estrie !

D’ailleurs, ceux qui atterriraient pour la première fois dans l’univers de la romancière peuvent plonger sans souci dans l’intrigue, puisqu’on en dit juste assez pour comprendre les événements des tomes précédents. Le seul problème, c’est qu’on n’aura désormais qu’une envie : aller lire les 13 premiers livres… en attendant le prochain. Le 15e tome, Better Man, sera en librairie dès le 27 août. Aucune date n’est encore connue pour la sortie de la traduction.

L’importance du père

La femme aux cheveux roux
Orhan Pamuk
Gallimard
304 pages
Trois étoiles et demie

Cem a 16 ans lorsqu’il passe un été comme apprenti auprès d’un expert dans le creusage des puits, aux abords d’Istanbul. Son père a disparu de nouveau, le laissant seul avec sa mère et contraint de travailler pour payer ses cours. Le maître puisatier devient pour lui un père de remplacement : Cem le craint et l’admire, cherche sans cesse son approbation. Puis, au village où ils se rendent tous les soirs, le jeune homme rencontre une comédienne dont il tombe éperdument amoureux. Son obsession pour cette femme qui pourrait être sa mère l’aveugle jusqu’au point où survient un drame qui scinde sa vie en deux et marque de façon indélébile le reste de son existence. Pamuk nous force à réfléchir sur la culpabilité et le remords, l’oubli et le ressentiment, les « mystères » de la relation père-fils, en superposant l’histoire de Cem sur celle du mythe d’Œdipe et de la tragédie persane de Rostam et Sohrâb. Ce grand écrivain turc, lauréat du prix Nobel de littérature, compose une tragédie moderne, envoûtante, au rythme obsédant – par moments harassant à force de ressasser les mêmes pensées ; néanmoins une fable savante sur l’impossibilité d’échapper au destin et sur les étonnantes façons dont nos vies sont imbriquées les unes dans les autres.

— Laila Maalouf, La Presse

Le bâtisseur tranquille

Augustin Frigon – Sciences, techniques et radiodiffusion
Robert Gagnon et Pierre Frigon
Boréal
248 pages 
Trois étoiles

La Révolution tranquille n’est pas un phénomène de génération spontanée. Sans se douter de ce qui allait se passer en 1960, quelques rares Canadiens français ayant atteint des postes décisionnels dans les décennies précédentes ont balisé des chemins qui ont modernisé le Québec, ouvert les esprits et permis à plus de Québécois d’accéder à une éducation de qualité. Augustin Frigon est de ceux-là et mérite totalement la biographie qui lui est consacrée. Premier Canadien français à décrocher, à Paris, un doctorat en sciences, ce bâtisseur tranquille est tour à tour dirigeant de l’École polytechnique, membre de divers organismes (commission scolaire, Commission de l’électricité) puis directeur général de Radio-Canada. Sur 40 ans, il voit à moderniser chacun des établissements où il passe. À Polytechnique, par exemple, il fait agrandir le laboratoire d’électricité (son domaine de spécialisation), cofonde une revue scientifique, modifie l’enseignement par notes à celui par manuel, obtient des bourses d’études à l’étranger, etc. Son travail à la Commission de l’électricité ouvre la voie à celui de René Lévesque lorsqu’il a nationalisé cette ressource naturelle. Pour aimer ce livre, il faut aussi aimer l’histoire des institutions, leurs structures, programmes et jeux de coulisses. Ce n’est pas très glamour, mais c’est fort pratique pour mieux comprendre d’où l’on vient.

— André Duchesne, La Presse

En panne de constance

Don Giuliano
Jacques Lanctôt
Libre Expression
408 pages
Trois étoiles

Le sujet était en or. D’autant plus qu’il s’appuie sur des faits réels. À la suite de la prise de pouvoir de Fidel Castro à Cuba, Lino, un mafieux vivant à Marseille, est envoyé à Cuba, via Montréal, pour assassiner Castro. Pourquoi ? Parce que la mafia risque de perdre des revenus importants avec la saisie de ses hôtels, casinos, etc. La route de Lino croise toutefois celle de Don Giuliano, alias Julien Casavant, un prêtre ayant à cœur le sort du peuple cubain. Dès lors, sa vie prend un nouveau sens. Notre mafieux bourru devient un ange. L’écriture s’en ressent instantanément. Le style fluide et accrocheur du début ainsi que l’aspect thriller s’effacent. Le roman bascule dans un insipide rituel born-again. Il ne se passe plus rien. L’auteur tourne des coins ronds. Certains passages, comme la réaction de Fidel à sa tentative de meurtre, méritaient d’être mieux approfondis. Une partie de l’action se passe en plus en pleine crise des missiles de Cuba sans qu’on l’aborde. Pourquoi ? Parce que le peuple ne savait pas ? Après avoir traversé ce ventre mou du roman, ça se remet à chauffer autour de Lino lorsqu’il se rend en Bolivie, où il assiste aux péripéties de Che Guevara qui souhaite étendre la révolution. Le dénouement, à Montréal, est aussi très intéressant. Malheureusement, entre début et finale, un manque de constance mine le rythme de l’histoire.

— André Duchesne, La Presse

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.