D’un côté, il y avait Anouk Marchand, ménopausée précocement à l’âge de 30 ans, qui cherchait une bonne fée voulant lui offrir des ovules. Et de l’autre, il y avait Rocksane Forget, maman comblée désirant simplement en aider une autre. Voici leur histoire en trois temps.
La rencontre
C’était un mercredi soir du mois de novembre 2013. Tandis que son conjoint travaillait à l’ordinateur, Rocksane Forget jetait un coup d’œil sur Facebook. Un message publié sur le Forum des parents de Rosemont – un groupe Facebook – a attiré son attention.
C’était celui d’Anouk Marchand.
En 270 mots, Anouk y résumait son histoire. La consultation en clinique de fertilité. Le diagnostic de ménopause précoce. Le bonheur que son conjoint et elle ont eu d’adopter bébé Nathan dans le cadre du programme Banque mixte. Et leur désir d’agrandir la famille.
« Le seul moyen qui s’offre à nous est le don d’ovule », écrivait Anouk, rappelant que la rémunération des donneurs de gamètes (ovules comme spermatozoïdes) est interdite au Canada. Elle et son conjoint, Étienne Dubois, s’étaient réinscrits au programme de la Banque mixte dans l’espoir d’adopter un deuxième enfant, mais ils étaient trop anxieux à l’idée de courir le risque que l’enfant soit un jour réintégré dans son milieu familial d’origine.
« Nous vous sollicitons afin de peut-être trouver une bonne fée qui voudrait nous aider dans notre projet », concluait Anouk.
Ce soir-là, Rocksane Forget a envoyé un message privé à Anouk.
« Peut-être que ça a été un peu impulsif, reconnaît Rocksane en souriant, mais ça faisait un an qu’on avait Claire [sa fille] et j’étais vraiment bien dans mon rôle de maman. Je faisais des études en sociologie et en psychologie et je réfléchissais quand même à ces questions-là. Je ne connaissais pas Anouk, mais j’étais sensible à ce qu’elle pouvait vivre. »
Les deux femmes se sont appelées le soir même. Elles ont discuté et se sont fixé un souper de couples la semaine suivante.
Le soir de la rencontre, le courant a passé.
Anouk et Étienne – tous deux criminologues – ont posé plusieurs questions à Rocksane et à son conjoint, Luca Ruggiero, pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de malaise une fois le processus enclenché.
Pour Rocksane, cette rencontre était tout aussi essentielle : « Je n’allais pas donner mon bagage génétique à n’importe qui ! », résume celle qui était curieuse de vivre une telle expérience.
Dans les mois qui ont suivi, Rocksane et Anouk se sont rendues à maintes reprises à l’hôpital Sainte-Justine. Au fil des tests et des rendez-vous, une amitié sincère s’est développée.
La naissance et le drame
Le grand jour est venu à la fin de l’été 2014. Celui de la ponction d’ovules, du prélèvement du sperme et de la fécondation in vitro des gamètes.
« C’était la journée la plus weird de tout le processus, se souvient Étienne Dubois. C’était un dimanche matin. Moi, faut que j’aille faire ce que j’ai à faire. C’est vraiment mécanique. Après, il y a eu la ponction… »
À l’aide d’une aiguille, un médecin a retiré une quarantaine d’ovules chez Rocksane, sous anesthésie locale. Cette dernière avait pris une médication pour stimuler la production de follicules.
Ce jour-là, l’embryologiste a créé plusieurs embryons, dont neuf qui se sont avérés de première qualité.
L’un d’eux allait devenir Romy.
Comble de bonheur, Rocksane est tombée enceinte pratiquement en même temps qu’Anouk.
Albachiara, la deuxième fille de Rocksane et Luca, est née le 3 décembre 2015. Mais 20 jours après sa naissance, elle s’est mise à respirer avec difficulté. Ses parents se sont rendus à Sainte-Justine où la petite a été envoyée aux soins intensifs.
Lorsque Anouk a donné naissance à Romy, Rocksane est venue la voir. Elle se trouvait au même étage de l’hôpital Sainte-Justine, au chevet de son bébé malade.
Albachiara est morte en juin, à l’âge de 6 mois. « On nous a expliqué que ce serait une mutation spontanée extrêmement rare. Une bad luck », laisse tomber Rocksane, qui est de nouveau enceinte aujourd’hui.
La vie
Anouk et Étienne ont été bouleversés à l’idée que le couple qui avait rendu leur rêve possible ait à traverser une telle épreuve. « Ça ne se pouvait juste pas », résume Étienne.
Le jour de la rencontre avec La Presse, à la maison d’Anouk et Étienne, Rocksane a regardé ses amis avec tendresse. « Aux funérailles, ils étaient là. À la journée de commémoration, ils étaient là. De tous mes amis, c’est eux qui ont été le plus présents », résume celle qui n’a jamais eu de ressentiment envers eux.
« J’appelais Anouk ma cheerleader. Et je n’ai jamais senti qu’elle voulait me redonner quelque chose ; c’était toujours authentique. »
— Rocksane
Malgré la distance (Rocksane et Luca ont déménagé à Gatineau), les deux familles restent liées. Les deux amies se téléphonent au moins une fois par semaine.
À moins que Rocksane ou Luca ne changent d’idée en cours de route, Romy connaîtra ses origines, à l’instar de son frère Nathan, qui sait déjà qu’il a été adopté. « Je sais que c’est important pour les enfants adoptés ou conçus d’une autre façon de savoir quelles sont leurs origines, dit Anouk, qui a consulté un psychologue avec Étienne à ce sujet. C’est vraiment un plus pour l’enfant. »
Pour Rocksane, il n’y a aucune ambiguïté : Romy est la fille d’Anouk et d’Étienne. Ça ne l’empêche pas de constater avec curiosité les ressemblances entre Claire, sa fille, et Romy, qui a aujourd’hui 20 mois.
« La vie continue, conclut Rocksane. Et ça, ça me fait du bien. »
L’importance de savoir
Des études en psychologie montrent que, sur le plan du développement de l’identité, il est préférable de mettre l’enfant issu d’un don de gamète au courant de ses origines, indique la Dre Camille Sylvestre, gynécologue-obstétricienne. « Pour les donneuses anonymes, les études montrent qu’il y a beaucoup moins d’enfants issus du don d’ovules qui vont rechercher la donneuse que d’enfants issus du don de sperme qui vont rechercher le donneur, poursuit la Dre Sylvestre. C’est probablement lié au fait que leur mère receveuse les a portés, les a souvent allaités… La filiation est plus forte avec le don d’ovules qu’avec le don de sperme. »