AMÉNAGEMENT COMMERCIAL

La forme suit la rentabilité

Chez Aldo, est-on capable d’évaluer les effets d’une intervention architecturale ou de design ?

« Oui, absolument », répond sans un soupçon d’ambiguïté Jean-Pierre Généreux, architecte et vice-président, marques et concepts, au Groupe Aldo.

Car dorénavant, il ne suffit plus de faire simplement le plan d’un nouvel aménagement. On voudra ensuite cartographier la performance du concept.

Bienvenue dans l’âge des mégadonnées – le Big Data.

« On entre dans une ère, pas seulement chez Aldo mais dans l’ensemble du commerce de détail, où l’activité de design et la stratégie de création vont passer par un examen rigoureux à travers lequel on va être en mesure de déterminer si les idées et les stratégies de départ ont vraiment porté leurs fruits », décrit Jean-Pierre Généreux.

Ces fruits seront méticuleusement inspectés, pesés, classés.

« Ça se mesure en termes de résultat de vente au pied carré, mais ça va se mesurer aussi de façon beaucoup plus détaillée et ventilée. Qu’est-ce que les gens achètent, à quel moment et à quel endroit dans un environnement ? Combien de gens sont passés par telle section du magasin ? »

« On est maintenant en mesure de cartographier la performance d’un concept de façon précise, quantitativement, en termes de présences dans le magasin, de nombre de visiteurs. »

— Jean-Pierre Généreux, architecte et vice-président, marques et concepts, au Groupe Aldo

Les principales marques internationales, et Aldo parmi elles, mènent diverses expérimentations pour savoir quelles données doivent être captées, comment les analyser et comment en tirer des conclusions concrètes et rentables, de manière à « réimbriquer tous ces constats dans la démarche de conception ».

Est-ce le début d’une architecture programmée, qui puiserait son inspiration dans une base de données ?

« Il y a un aspect extrêmement calculé dans tout ça », reconnaît Jean-Pierre Généreux, avant de nuancer. « La créativité a le pouvoir d’utiliser ces données et cette compréhension, mais de les mettre en action de façon profondément humaine. Donc engageante, poétique, inspirante, tout en étant pratique, efficace, rentable. »

LE VRAI RÔLE DU DESIGN

Pour Jean-Pierre Généreux, le rôle du design est beaucoup plus vaste et profond que l’aménagement d’un « espace transactionnel ». Il se consacre plus fondamentalement à « servir les objectifs d’une marque ».

Car chaque commerce, aussi modeste soit-il, constitue aussi une marque, qu’il le reconnaisse ou pas.

« Que la marque soit bien définie et articulée ou non, il reste que les gens viennent dans cet espace-là pour davantage qu’une simple transaction », observe l’architecte.

Les clients interagissent avec le produit, mais également avec la « personnalité de cette marque, ses valeurs, son essence ».

« Le rôle fondamental du design, c’est de comprendre l’essence de cette marque et la traduire par une expérience au travers tous les filons que ça peut inclure », y compris l’architecture.

Ce rôle du design s’applique aussi au petit commerce local.

« Toute entité qui finit par offrir des biens ou des services à une communauté d’intérêts quelconque fait face au même défi : bien présenter, bien communiquer, bien recevoir, bien accueillir, bien servir. »

— Jean-Pierre Généreux, architecte et vice-président, marques et concepts, au Groupe Aldo

La boulangerie du coin est, à son échelle, un petit Apple Store.

LE SCEAU DU TEMPS

Lorsque les projets réussissent à bien exprimer cette personnalité tout en répondant efficacement aux besoins, les clients accourent… et surtout reviennent.

« La meilleure preuve qu’un concept en est un bon, c’est qu’il va durer, souligne Jean-Pierre Généreux. Ce n’est plus une question d’être la saveur du jour, ce n’est plus une question de tendance, c’est une question d’amener dans les projets une qualité qui est permanente. »

Néanmoins, la permanence et la pérennité ne sont pas garanties par la qualité du design, ni ne dépendent d’elle seule. Plusieurs autres facteurs entrent en jeu. Sur les 20 commerces lauréats des Prix Commerce Design Montréal 2004 – les derniers avant la reprise de la formule en 2015 –, une douzaine ont fermé leurs portes. Il est vrai que plusieurs de ceux-là gravitaient autour de la restauration, un secteur où l’aléatoire se mêle à l’éphémère.

La totale absence de la moindre intention d’aménagement n’est pas non plus un arrêt de mort.

Face au siège social de La Presse, de l’autre côté de la rue Saint-Antoine, le magasin Caméras Simon annonce fièrement qu’il a été fondé en 1930. Les comptoirs vétustes, les parquets creusés par l’usure, la façade décrépite, les vitrines poussiéreuses et dégarnies laissent croire que rien n’a été rénové depuis son ouverture. Pourtant, le magasin existe toujours.

Mais les chances de longévité sont nettement meilleures avec un commerce attrayant.

ALDO ET LE DESIGN UNIVERSEL

Aldo fait du commerce dans 93 pays. Où que ces points de vente soient situés sur la planète, la conception de leur aménagement a été réalisée à Montréal.

« Dans tous les marchés où nous sommes franchisés, la construction, la mise en œuvre des projets sont faites par les franchisés eux-mêmes, mais à partir des plans et devis que nous avons développés », souligne Jean-Pierre Généreux.

Il est essentiel que la marque conserve sa personnalité et qu’elle soit reconnaissable dans l’environnement où elle s’exprime.

« Les grandes marques commerciales, pas seulement Aldo, essaient de mettre en œuvre des concepts qui sont vraiment cohérents à travers la planète. L’intérêt des gens et des marchés pour chacune de ces marques est basé sur un certain nombre d’attentes. Et il faut s’assurer que toutes les composantes de cette attente sont là et bien livrées par la marque.

« Par contre, on ne peut pas le faire de façon dogmatique, poursuit l’architecte. Il faut y introduire quand même une certaine flexibilité pour être capable de faire un clin d’œil aux cultures locales et aux endroits où on va s’installer.

« Il faut trouver la bonne façon de le faire. Ce n’est pas en repensant de façon fondamentale les concepts, mais à travers toutes sortes de petites attentions et de façons de servir la clientèle. »

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