La Tablette à l’école

Comment rassurer les parents ?

Cinq ans après l’arrivée de la tablette en classe, son utilisation inquiète toujours plusieurs parents, constate Thierry Karsenti, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l’information et de la communication en éducation. La Presse lui a posé quelques questions en marge d’une conférence donnée au collège Villa Maria.

Il reste beaucoup d’inquiétudes au sujet de l’utilisation de la tablette dans les écoles ?

Peu importe les écoles, il y a énormément de parents qui sont inquiets lorsqu’on intègre le numérique à l’école. Une des façons de les aider, c’est de les rencontrer et de leur présenter des faits qui peuvent les rassurer. Parce qu’il est normal d’avoir des inquiétudes ! Oui, il y a beaucoup plus d’avantages d’intégrer les technologies à l’école, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de défis ! Je préfère donner l’heure juste aux parents.

À quels défis faites-vous référence ?

Je dirais que la première année où on utilise la tablette, ce n’est pas vrai qu’il n’y a pas de désavantages. Il faut être très honnêtes : le premier défi, c’est la distraction potentielle. Car quand on y pense bien, combien de jeunes vont préférer apprendre une règle de grammaire ou une équation mathématique plutôt que de regarder des notifications sur Facebook ? Il ne faut pas se leurrer ! Malgré tout, il faut vivre cette transition le plus tôt possible. Il faut que les élèves apprennent à se responsabiliser très vite pour adopter des stratégies qui limitent ces distractions – comme désactiver les notifications en classe.

Oui, mais comment encadrer l’utilisation de la tablette en classe, concrètement ?

Tout d’abord, les enseignants deviennent bien meilleurs, parce que s’ils laissent leurs élèves à ne rien faire, qu’est-ce que vous pensez qu’il va arriver ? Ils vont aller sur les réseaux sociaux. Quand ils les laissent travailler, ils savent qu’ils doivent se placer derrière la classe pour voir les écrans. Les jeunes ne peuvent pas aller sur Instagram dans ce temps-là ! Ou encore, ils circulent en classe.

Comment la technologie appuie-t-elle le travail des enseignants ?

On continue d’enseigner la même matière, mais différemment. Comme dans une école secondaire où j’ai vu récemment que Candide, de Voltaire, est à l’étude. On leur fait lire la version numérique, où l’on voit le manuscrit original de Voltaire et où l’on ajoute certains éléments qui peuvent aller chercher des jeunes moins motivés. Évidemment, ce n’est pas un jeu. Ils doivent le lire, le roman. Puis, en classe, l’enseignante leur fait passer un petit test pour vérifier que tout le monde a lu un chapitre. Avant, elle aurait amassé les copies et elle aurait su le lendemain qui l’avait lu ou pas. Aujourd’hui, avec la tablette, les jeunes remplissent le questionnaire en ligne, et l’enseignante sait en temps réel qui a fait sa lecture.

Ou encore, en sciences, pour visualiser un phénomène, un enseignant peut présenter des vidéos pour mieux l’expliquer. On apprend dans les manuels, mais pour des jeunes de 13 ou 14 ans, on ne peut pas dire que ça leur nuit de regarder ce que voient les caméras branchées dans un volcan à Hawaii pour comprendre comment ça fonctionne.

Dans les exemples que vous donnez, l’enseignant demeure très présent malgré l’utilisation de la technologie…

L’enseignant est plus important que jamais. Ceux qui pensent qu’il va perdre en importance n’ont jamais visité de salle de classe. Qu’est-ce que les jeunes feraient avec une tablette, seuls dans une salle de classe ? Il n’y en a pas beaucoup qui iraient d’abord voir la caméra branchée dans un volcan. Ils iraient sur les réseaux sociaux.

Mais les enseignants sont-ils suffisamment formés pour utiliser cette technologie ?

Ils ne sont jamais suffisamment formés. Le pire moment pour un enseignant, c’est d’affronter une classe pleine, avec des jeunes qui ont une tablette avec eux pour la première fois. Ils se disent : « Wow, la courbe d’apprentissage est raide ! » Il n’y a pas de portail sur les bonnes pratiques, et c’est peut-être un besoin auquel il faudrait répondre éventuellement. Des enseignants et des écoles innovent. Je pense toutefois qu’il faut développer une culture de formation continue quand on est en éducation.

Et à la maison ?

Allez dans n’importe quel supermarché ou centre commercial, presque tous les jeunes enfants ont un appareil numérique dans les mains. L’enfant retient quel message ? Il arrive à l’école en pensant que la technologie, c’est un jeu. Comprendre que la tablette sert aussi à apprendre, ça commence à la maison, très tôt. […] L’école a un rôle à jouer, mais les parents aussi. Par exemple, on ne laisse pas un jeune élève dormir avec sa tablette. Le jeune qui se couche à 21 h 30 et qui reçoit un message à 21 h 33, il va être tenté de répondre. Ça peut continuer jusqu’à tard ! C’est difficile de résister à cette tentation. Il faut mettre des balises au début. Enfin, à la maison comme à l’école, il faut des moments sans technologie. Il faut réaliser que la technologie, c’est un privilège. Ce n’est pas un droit acquis que les enfants ont. On va souper sans nos appareils électroniques, ou encore en classe, on va leur demander parfois de déposer leur tablette à l’envers sur leur bureau. Il faut trouver un équilibre.

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