Santé mentale

L’irritabilité sous la loupe

WASHINGTON — Les personnes dépressives et celles qui sont anxieuses sont souvent irritables. Depuis une dizaine d’années, des chercheurs ont toutefois découvert que l’irritabilité doit être traitée de manière distincte dans les cas de dépression.

« On sait depuis longtemps que la dépression et l’anxiété s’accompagnent souvent d’irritabilité », explique Jeffrey Burke, un psychologue de l’Université du Connecticut qui faisait partie d’une conférence sur l’irritabilité à la dernière réunion annuelle de l’Association psychologique américaine (APA), le mois dernier à Washington. « Mais depuis 10 ans, on se rend compte qu’on peut s’occuper séparément de l’irritabilité. C’est un facteur de risque supplémentaire et on est en train de mettre sur pied des psychothérapies spécifiques pour la traiter. Les approches traditionnelles pour la dépression et l’anxiété ne ciblent pas l’irritabilité. »

Irritabilité, TOD et dépression

Il faut distinguer deux types d’irritabilité, selon M. Burke. « Il y a une irritabilité chronique, qui fait partie de la personnalité de l’enfant et de ses relations avec les autres. C’est cette irritabilité qui est liée à de plus hauts risques de dépression et de problèmes de comportement. L’irritabilité sporadique peut être un symptôme que quelque chose d’autre ne va pas. Par exemple, on va se dire que l’enfant manque de sommeil. Mais elle n’est pas aussi problématique. »

Comment une psychothérapie ciblant l’irritabilité diffère-t-elle des autres ? « Je suis spécialiste du trouble oppositionnel défiant [TOD], dit M. Burke. Je suis le premier à avoir montré l’importance de l’irritabilité pour expliquer le lien entre TOD et dépression, en 2007. Pour traiter le TOD, on va faire des renforcements de comportements, avec des récompenses et des punitions, pour réduire le non-respect des règles et la tendance à blâmer les autres pour ses propres comportements irritants. Si on veut cibler la composante d’irritabilité du TOD, il faut s’occuper des techniques de régulation des émotions, donner à l’enfant des stratégies pour les gérer. C’est une tout autre sphère. Mais je suis encore en train de valider les approches psychothérapeutiques, ce n’est pas encore sur le marché. » Il n’y a pas de médicament permettant de traiter l’irritabilité chronique, ajoute M. Burke.

Le psychologue américain avance que l’irritabilité pourrait être un trouble psychiatrique distinct. « Si on isole les composantes comportementale et d’irritabilité du TOD, seule l’irritabilité est liée à un risque accru de dépression et de comportements asociaux plus tard à l’âge adulte. »

« Si on enlève la dimension d’irritabilité de la dépression, avoir un diagnostic de dépression durant l’enfance n’augmente pas du tout le risque de dépression à l’âge adulte. Mais quand on considère la dépression dans son ensemble, avec l’irritabilité, le risque augmente de trois fois. »

— Jeffrey Burke, psychologue de l’Université du Connecticut

De 10 à 15 % des enfants ayant un diagnostic de TOD auront des comportements asociaux, parfois criminels, à l’âge adulte.

C’est pour cette raison que des négociations sont en cours pour un diagnostic séparé de l’irritabilité, avec sa propre échelle diagnostique. « Le problème, c’est que deux des manuels diagnostiques les plus utilisés dans le domaine, le DSM-5 et le ICD-11, ont pris deux approches, dit M. Burke. Le DSM a créé une nouvelle catégorie, le trouble disruptif de dysrégulation de l’humeur, alors que l’ICD a simplement ajouté une nouvelle version du TOD, avec irritabilité, comme on a le déficit d’attention avec ou sans hyperactivité. D’habitude, les deux manuels cherchent à avoir les mêmes définitions. Ça montre qu’il faut encore travailler sur le sujet. »

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Augmentation du risque de dépression à l’âge adulte, pour les enfants souffrant de trouble oppositionnel défiant (TOD) avec irritabilité

Source : Université du Connecticut

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