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Le gouvernement russe démissionne : tous ses membres ont eu un résultat positif aux tests antidopage.

Opinion

L’abolition du paratonnerre

Avec la disparition prochaine des élus scolaires, le ministre de l'Éducation devra répondre seul de tout ce qui cloche

Si le ministre de l’Éducation maintient son plan de match (et tout porte à croire qu’il gardera le cap), les élus scolaires disparaîtront le 29 février prochain. À l’heure où reprennent les travaux parlementaires sur le projet de loi 40, on apprend que le ministre est prêt à mettre de l’eau dans son vin.

Il a certes fait des microconcessions pour tenter de calmer la grogne, mais le gros de l’œuvre demeure intact : hypercentralisation des pouvoirs aux mains du ministre, travail bénévole et double mandat des parents qui siégeront aux conseils d’administration, pas de droit à la parole publique pour les membres des conseils d’administration (c’est la direction générale du centre de services qui sera porte-parole de l’institution), pas de représentation territoriale pour les futurs administrateurs et administratrices, une structure décisionnelle plus opaque et moins redevable à la population, etc.

De l’eau dans son vin ? Une simple goutte dans des barils entiers de piquette, plutôt.

Moyennant quelques amendements symboliques, Québec s’apprête donc bel et bien à faire en éducation ce que le ministre Barrette a réalisé en santé : retirer des pouvoirs aux citoyens, les concentrer aux mains du ministre, bureaucratiser le réseau à outrance, limiter l’expression de la parole publique en coinçant les fonctionnaires dans leur devoir de loyauté…

Si ce projet était délétère en santé, il l’est d’autant plus en éducation, un réseau que tous ont l’obligation de fréquenter (contrairement au système de santé dans lequel les aléas de la vie nous plongent sporadiquement).

Le réseau éducatif est au fondement de la vie en société : il repose sur les valeurs à partir desquelles se construit tout l’édifice social. Sa destinée relève des aspirations des communautés, c’est pourquoi il est administré par une structure élective et responsable devant la population depuis plus de 150 ans.

LE CARREFOUR DE TOUS LES ENJEUX

Tous les grands enjeux de société finissent par échoir à l’école : la laïcité, l’éducation à la sexualité, la lutte contre les changements climatiques, le développement du numérique… L’école est à la fois le creuset et le miroir d’une société diversifiée et en constant mouvement. Ses orientations et leur articulation dans le quotidien scolaire doivent être judicieusement et démocratiquement mesurées, à l’aune des particularités qui distinguent chaque communauté prise au sens large.

C’est la raison pour laquelle il est impératif de préserver, voire de multiplier les lieux du débat en matière d’éducation. Il demeure essentiel d’assurer l’imputabilité des personnes qui tranchent ces questions et qui prennent des décisions en notre nom ; il faut que ces personnes puissent rendre compte publiquement de leurs décisions ; il faut qu’elles soient désignées de manière collective et transparente, sur la base d’une vision claire et rassembleuse de l’école ; il faut qu’elles soient redevables et imputables de leurs actes, et qu’elles disposent des moyens nécessaires pour accomplir leur tâche.

Limiter le droit à la parole publique des membres des conseils d’administration des centres de services et faire d’un fonctionnaire le porte-parole de l’institution, c’est assurément réduire une institution publique à sa plus simple expression clientéliste.

C’est couvrir d’une chape de plomb les débats fondamentaux auxquels une société est confrontée et minimiser l’imputabilité de ceux qui prendront des décisions en son nom. En éducation, à compter du 1er mars prochain, le Québec ne pourra plus compter que sur un seul représentant élu au suffrage universel et imputable de l’ensemble des décisions prises dans l’ensemble du réseau : le ministre. (Et encore : il n’est élu au suffrage universel que dans sa circonscription, et non par l’ensemble des Québécois.)

On lui souhaite bonne chance quand il aura à justifier la surpopulation dans les écoles, la pénurie enseignante, le piètre état des bâtiments, le manque criant de services aux élèves, les choix de gestion de ses 69 nouveaux centres de services… Une fois le paratonnerre des élus scolaires retiré, la foudre ne pourra plus s’abattre que sur une seule personne.

* Signataires : Claude Lessard, professeur émérite à l’Université de Montréal, et ex-président du Conseil supérieur de l’éducation ; Suzanne Chartrand, porte-parole du collectif Debout pour l’école ! ; Louise Briand, professeure et membre du conseil d’administration de l’Université du Québec en Outaouais ; Jean Trudelle, enseignant à la retraite du cégep Ahuntsic et ex-président de la Fédération nationale des enseignants et des enseignantes du Québec (FNEEQ) ; Jacques Tondreau, sociologue de l’éducation ; Michel Seymour, professeur honoraire à l’Université de Montréal ; Jean-Noël Grenier, professeur à l’Université Laval ; Marc St-Pierre, consultant en éducation ; Jean-Denis Dufort, commissaire indépendant à la CSDM ; Mary Ann Davis, commissaire à la Commission scolaire Lester B. Pearson ; Solen Poirier, parent d’élèves et citoyenne de Montréal ; Ana Salvarrey, parent d’élèves, Montréal ; Christophe Joubert, parent d’élèves, Montréal ; Chantal Chouinard, parent d’élèves, Montréal ; Maxime Vinet-Béland, enseignant à la CSDM ; Isabelle Bouchard, enseignante et syndicaliste, cégep de Trois-Rivières ; Caroline Proulx-Trottier, enseignante à la retraite ; Yannick Delbecque, enseignant au cégep de Saint-Laurent ; Isabelle Larrivée, enseignante au Collège de Rosemont ; Jonathan Vallée-Payette, citoyen, Montréal ; Philippe Lapointe, parent et syndicaliste, Montréal ; Chloé Domingue-Bouchard, parent et citoyenne, Montréal ; Constantin Fortier, parent d’élèves et citoyen engagé, Montréal ; Sébastien Barraud, éducateur en service de garde, à la CSMB ; Madeleine Ferland, enseignante au cégep Montmorency ; Chantal Poulin, enseignante au primaire à la CSPΠ; Danielle Thibault, enseignante à la CSDL ; Flavie Achard, enseignante à la retraite du cégep Montmorency ; Alex Pelchat, enseignant à la CSDM ; Geneviève Ross, parent d’élèves, Montréal ; Kathya Dufault, ex-enseignante, à la CSSMI ; Valérie Sauvé, parent d’élève, Montréal ; Yann Omer-Kassin, parent d’élèves et citoyen engagé, Montréal ; Philippe de Grosbois, enseignant au cégep Ahuntsic ; Stéphane Lessard, parent et citoyen engagé, Québec ; Ismaël Seck, enseignant à la CSDM ; Brigitte David, parent d’élèves, Longueuil ; Annie Thibodeau, enseignante à la CSMB ; Francis Waddell, éducateur spécialisé à la CSMB ; Marieve Rancourt, parent d’élève et citoyenne engagée, Montréal ; Frédéric Labrie, parent et enseignant à la CSPN ; Yann Robitaille, enseignant à la CSPΠ; Annie Thériault, enseignante au collège de Maisonneuve ; Marc-André Pilon, parent et enseignant, CSTL ; Sylvain Dancause, parent et enseignant à la CSDPS ; Geneviève Fortier-Moreau, ex-enseignante et parent, Montréal ; Stéphane Thellen, enseignant au cégep du Vieux-Montréal ; Isabelle Beauchemin, parent d’élève, Montréal ; Édith Laperle, présidente du conseil d’établissement de l’école Père-Marquette, CSDM ; Xavier Watso, enseignant à la CSDM ; Pascale Grignon, parent d’élèves et citoyenne engagée, Montréal ; Fikry Rizk, enseignant à la retraite, chargé de cours en éducation, membre de Debout pour l’école ! ; Hubert Forcier, syndicaliste et citoyen engagé, Montréal

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