Industrie du sexe

Le « choix » de Sophie

Longtemps, Sophie (*) se disait pro-travail du sexe. « Je considérais que la prostitution était le choix des femmes et que c’était une façon comme une autre de sortir de la pauvreté. »

Enfant d’un milieu pauvre et instable, elle rêvait de faire mieux que ses parents. Quand elle est devenue mère à son tour, elle a connu des moments très creux. De petits boulots en petits boulots, elle avait du mal à joindre les deux bouts. Pourquoi ne pas essayer le téléphone érotique ? Elle s’était imaginé que ce serait payant. L’expérience fut décevante. En un mois et demi, à peine 300 $…

« Tu ne les tiens pas en ligne assez longtemps. Le bonus, c’est après dix minutes », lui disait-on, en lui suggérant de faire plutôt de la webcam.

— Il est venu au bout de huit minutes, qu’est-ce tu veux que je te dise ? »

C’en était fait du téléphone érotique. Quant à la webcam, pas question, s’était dit Sophie. Après ce sera quoi ? Escorte ?

FEMME DE MÉNAGE SEXY

Mais arriva un autre moment creux. Les poches vides juste avant Noël. Un chèque de chômage qui n’arrive pas. Des enfants qui n’ont pas de cadeaux… Sophie épluchait les annonces classées sur le web de gens à la recherche d’une femme de ménage. « Entre deux annonces d’une famille qui se cherchait une gardienne ou une femme de ménage, il y avait une annonce d’un gars qui se cherchait une femme de ménage sexy. »

Elle s’est habillée sexy et y est allée.

« Je me suis dit : tant qu’à entendre des cochonneries sans arrêt au téléphone, je suis aussi bien de passer une heure pour vrai avec le client et ce sera réglé. Et en une heure, je ferai ce que je faisais en un mois. »

— Sophie

« Je suis arrivée là. Il m’a dit laisse faire le ménage ! J’ai fait ce que j’avais à faire. » Les enfants ont eu de beaux cadeaux à Noël.

Sophie a fini par monter son propre site internet et par travailler comme escorte indépendante. « Mais on ne peut pas vraiment être indépendante dans les faits. Il y a toujours des “pimps” qui nous courent après. Quand j’ai réalisé ça, ça a pété ma bulle. »

Elle s’était dit que ce serait très temporaire. Qu’elle ferait un coup d’argent et c’est tout. Elle a vite eu l’impression d’être aspirée dans une spirale autodestructrice. Un viol l’a complètement démolie. Elle s’est tournée vers les salons de massage, en se disant que ce serait mieux. Ce ne l’était pas. Elle était de plus en plus dégoûtée et révoltée par ce qu’elle voyait. Des femmes qui, comme elle, se disaient qu’elles feraient ça pour quelques mois, mais qui, 10 ans plus tard, étaient encore là.

« UNE INDUSTRIE DE MERDE »

Traumatisée, elle a voulu faire marche arrière. Mais elle ne voyait plus d’issue. « On dirait que plus j’essayais de me sortir de la merde plus je m’enfonçais dedans. À un rythme vraiment rapide et épeurant. J’ai vraiment eu peur de ne pas réussir à m’en sortir. Je me disais que j’étais faite forte parce que j’en ai vu beaucoup… Mais je suis devenue profondément suicidaire. Il y a d’autres filles que j’ai vues qui l’étaient aussi. »

Elle essayait de voir le moins de clients possible. Juste assez pour pouvoir remplir le frigo. « Je ne mangeais plus. Je nourrissais les enfants et c’est tout. »

Elle n’arrivait plus à dormir. Elle était de plus en plus épuisée. La peur lui glaçait le sang. Après chaque client, elle vomissait. « J’étais écœurée. J’avais l’impression d’être complice d’une industrie de merde.

« J’avais vu des filles victimes de traite dans les salons de massage. Je n’étais plus capable de faire semblant de trouver ça cool avec mes clients. J’avais le goût de les tuer, même les plus fins. » — Sophie

Une intervenante d’un CALAC (Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel) a contribué à lui sauver la vie. Sans la juger, elle l’a soutenue.

Sophie revient de loin. Aujourd’hui, elle fait partie du Collectif d’aide aux femmes exploitées sexuellement (CAFES). Elle en est une des fondatrices. Elle y reçoit de l’aide. Elle en donne aussi. Et plus personne ne peut lui faire croire que la prostitution est un « choix » comme un autre pour sortir de la pauvreté.

*nom fictif

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