Coupe du monde de soccer

Des duels intrigants et un choc de titans

Le rideau est tombé hier sur la composition des groupes de la Coupe du monde, qui aura lieu l’été prochain, en Russie. S'il n'y a pas de « groupe de la mort », le tirage a débouché sur quelques intrigues et sur un choc entre deux ténors mondiaux. Notre collaborateur Patrick Leduc est allé tâter le pouls de la population russe.

Billet

La Russie en 50 teintes de gris

Moscou — Oubliez l’Uruguay, l’Égypte et l’Arabie saoudite, le plus grand défi qui se dresse devant la Russie en vue de la Coupe du monde, c’est avant tout de chasser les préjugés véhiculés à l’endroit du pays en dehors de ses frontières.

Au-delà de leur air parfois sévère, les Russes qu’on a rencontrés ont véritablement envie d’accueillir les visiteurs au grand rendez-vous du ballon rond cet été. Si seulement c’était également ce que souhaitaient les autorités…

La grisaille règne en cette fin d’automne à Saint-Pétersbourg et à Moscou. Après une semaine passée dans la froideur de novembre, on cherche encore des preuves de l’existence du soleil dans les métropoles de la Russie. Sans les néons publicitaires des nombreux McDo, Starbucks et KFC – avec logos en alphabet cyrillique –, la pénombre envahissante suffirait à nous faire croire que les rayons solaires ont été rationnés pour la saison par un comité du Politburo.

Mais cette froideur ne se limite pas aux bourrasques qu’on ressent aux abords de la Neva ou de la Moskova. « Les Russes ne sourient pas beaucoup », raconte Anton, barman du restaurant Gräs de Saint-Pétersbourg. Tiens donc.

Pourtant, malgré la couleur terne de la majorité des édifices, il y a de la vie et de l’énergie en Russie. Qui plus est, la Coupe du monde aura lieu en été. « Les stades seront prêts. La fierté du peuple russe va prendre le dessus pour qu’on organise un grand tournoi », affirme Dmitry Zelenov, journaliste à Sport-Express.

« Ça s’est vraiment mieux passé qu’on ne l’avait prévu lors de la Coupe des confédérations. Tout a bien fonctionné », renchérit Anton, le Sibérien exilé à Saint-Pétersbourg, tout en nous servant des concoctions à base de kvas et de vodka. En attendant les couleurs de l’été, voilà au moins de quoi se réchauffer.

« Les attentes du public sont basses »

Or, la compétition, ce n’est probablement pas uniquement de ça qu’on va parler dans les médias en attendant le coup d’envoi du match inaugural entre la Russie et l’Arabie saoudite. Certes, il existe des appréhensions quant au calibre de l’équipe hôte pour ce tournoi. « Ce n’est pas une grande génération en ce qui concerne le talent. Les attentes du public sont basses », dit Zelenov.

Le directeur de l’académie du Spartak Moscou, Dmitry Sidorov, est plus optimiste : « Il y a quelques bons joueurs et, surtout, un bon entraîneur. Ça devrait aller. » À la lumière du tirage au sort pour le groupe A, les Russes ne devraient pas souffrir de plus d’anxiété que ce n’était le cas en se levant en début de journée. Pas à cause d’un tournoi de soccer, en tout cas.

Mais le pays hôte et la FIFA ont des soucis ailleurs. « Venez en Russie ! », avait crié Gianni Infantino durant son discours d’inauguration lors de la Coupe des confédérations aux côtés de Vladimir Poutine, l’été dernier.

Une phrase qu’il a répétée lors de son discours d’avant-tirage au Kremlin. N’ayez pas peur, semblait-il vouloir ajouter sans le formuler aussi clairement.

Si de nombreux touristes finiront par se laisser tenter – ça en vaut bien la peine –, c’est sans doute aussi aux commanditaires que s’adressait l’appel d’Infantino. À sept mois du tournoi, on peine encore à trouver de nouveaux partenaires commerciaux locaux et le diffuseur télé du pays n’est toujours pas officialisé. Certes, l’image de marque toxique de la FIFA et les tensions politiques en Russie ont de quoi refroidir les ardeurs de commanditaires potentiels. Dans un tel contexte, les efforts de marketing sont-ils compromis d’avance au pays de Poutine ?

Des sujets hors limite

Pour sa part, en dépit de son discours protocolaire lors du tirage, le président n’affiche pas un grand enthousiasme à l’égard du tournoi et du soccer en général. Serait-il trop préoccupé par sa propre campagne de réélection ? Mis à part le prestige que lui procure son organisation, on en vient à se demander si les autorités russes veulent vraiment de cette Coupe du monde. « Let’s get it over with », proposait même comme slogan la chroniqueuse du Guardian Marina Hyde, cette semaine.

Pourtant, ce n’est pas tout à fait ce qu’on ressent lorsqu’on arrive à lancer une discussion avec des locaux qui se lâchent le temps d’une question ou deux.

« Ce qui va surprendre les gens qui viennent en Russie, c’est l’hospitalité », clame le journaliste Zelenov dans un anglais impeccable. « La Russie a un côté exotique, un mélange d’Europe et d’Asie qui lui confère une sorte de magie. » C’est le président Poutine qui le dit : tous ceux qui viennent une fois en Russie savent qu’ils seront bien reçus.

Mais en dépit de son amabilité et de son ouverture d’esprit, on sent aussi chez Zelenov une réticence à parler de certains sujets, même à micro fermé. La politique, par exemple, est hors limite.

Et c’est la même histoire avec de nombreux intervenants croisés durant notre semaine en Russie. « Je peux vous parler, mais pas de politique ou d’économie », ou simplement : « Pas devant la caméra. » Un policier du métro de Saint-Pétersbourg pourtant volubile jusqu’à ce qu’il aperçoive l’objectif de la caméra s’est vite excusé en disant : « C’est interdit pour moi de vous parler comme ça. »

Grâce à lui, on aura tout su des splendeurs de l’avenue Nevski, de l’Hermitage et du palais de Peterhof, mais on ignore toujours son pronostic pour la Coupe du monde, la faute à une caméra intimidante. Bref, les Russes ont beau avoir la réputation d’être hospitaliers, leurs visiteurs doivent aussi savoir sur quel pied danser.

En sortant du Kremlin à l’issue du tirage, il neigeait à gros flocons sur Moscou. Toujours pas de soleil à l’horizon, mais un extérieur un peu moins gris. On sait désormais davantage à quoi s’attendre, même si le coup d’envoi de la Coupe du monde est encore loin. À Patriki, petit quartier paisible de la capitale, l’étang du Patriarche est figé dans la glace jusqu’au printemps. On pourra bientôt y patiner, à ce qu’il paraît.

Et le patinage, bien des Russes s’y exerceront en attendant le dégel, l’élection présidentielle et le retour éventuel du soleil. Je ne saurais dire pourquoi, mais ce n’est pas l’envie qui manque d’y aller avec eux.

Coupe du monde de soccer

Le portrait des groupes

Une autre étape a été franchie, hier, avec le tirage au sort de la Coupe du monde. Si cela n’a pas débouché sur un « groupe de la mort », plusieurs affrontements sont d’ores et déjà très intrigants.

Groupe A

Russie (65), Arabie saoudite (63), Égypte (31), Uruguay (21)

L’observateur neutre se dit qu’un match d’ouverture entre la Russie et l’Arabie saoudite n’est pas franchement le plus palpitant de l’histoire. Après tout, il opposera les deux nations les moins bien classées de ce tournoi. Les partisans concernés, par contre, se féliciteront de ce groupe A particulièrement ouvert qui est le seul à ne pas compter sur une équipe du top 20 mondial. L’Uruguay fait figure d’équipe favorite en raison de son expérience sur la scène internationale et d’un groupe, incluant son sélectionneur, particulièrement intéressant et stable. De son côté, la Russie parviendra-t-elle à atteindre les quarts de finale, objectif annoncé par son gouvernement ?

Devraient se qualifier : Uruguay, Russie

1

Ensemble, la Russie, l’Arabie saoudite et l’Égypte n’ont remporté qu’un seul match de phase finale au XXIe siècle.

Groupe B 

Portugal (3), Espagne (6), Maroc (40), Iran (32)

Des murmures se sont fait entendre lorsque l’Espagne a rejoint le Portugal au sein de ce groupe B. Il s’agit non seulement d’une rivalité historique, mais surtout d’un choc de titans entre deux pays qui ont dominé le soccer dans les dernières années. L’Espagne ? Une Coupe du monde et deux Championnats d’Europe depuis 2006. Le Portugal de Cristiano Ronaldo ? Un Championnat d’Europe en 2016. Bref, ce groupe B avait les contours du groupe de la mort avant que le Maroc et l’Iran ne s’y joignent. Attention tout de même aux Marocains, en pleine progression sous Hervé Renard, et à l’Iran, qui s’était bien battu en 2014.

Devraient se qualifier : Espagne, Portugal

7

Le Portugal et l’Espagne avaient soumis une candidature conjointe pour organiser le Mondial 2018. Ils avaient récolté 7 votes, contre 13 pour la Russie.

Groupe C

France (9), Australie (39), Pérou (11), Danemark (12)

Le Français Didier Deschamps est reconnu pour sa bonne fortune lors des tirages au sort. « Ça aurait pu être pire bien, évidemment », a-t-il d’ailleurs lâché, hier. Évitant les ténors mondiaux, ses Bleus rencontreront effectivement trois adversaires qui se sont qualifiés via les barrages. Cela dit, le Danemark et, surtout, le Pérou ont connu une phase ascendante dans la dernière année. De son côté, l’Australie cherche actuellement un nouveau sélectionneur. La France est souvent citée comme l’une des favorites par les autres sélectionneurs, mais Deschamps essaie de tempérer cet élan. Avec les Griezmann, Mbappé ou Varane, cette équipe est bien armée pour rêver grand.

Devraient se qualifier : France, Pérou

36 

Le Pérou participera à sa première phase finale en 36 ans. En 1982, il avait pris le dernier rang de son groupe avec deux points.

Groupe D 

Argentine (4), Islande (22), Croatie (17), Nigeria (50)

Voilà un groupe qui promet de déboucher sur de belles batailles. L’Argentine est évidemment favorite, mais sa campagne de qualifications a été pénible et frustrante. Encore une fois, elle a été dépendante de Lionel Messi, auteur d’un triplé dans le match décisif et de 37 % des buts en qualifications. Sans sa vedette et malgré le nombre de solutions de rechange, l’Albiceleste s’est récemment incliné 4 à 2 devant le Nigeria en match amical. Le Nigeria, qui possède de beaux atouts et un jeu efficace en contre-attaque, peut-il prendre l’une des deux places face aux Islandais et Croates, qui se sont déjà croisés en qualifications ?

Devraient se qualifier : Argentine, Croatie

334 252

Avec 334 252 habitants, l’Islande sera le pays le moins peuplé à avoir participé à une phase finale de la Coupe du monde.

Groupe E

Brésil (2), Suisse (8), Costa Rica (26), Serbie (37)

Blerim Dzemaili commencera son Mondial face au Brésil, quintuple champion qui tiendra toujours une place à part dans le monde du soccer. Même si le sélectionneur Tite espère « une montée en puissance », les choses vont plutôt bien depuis son arrivée en septembre 2016. Sous ses ordres, le Brésil a survolé les qualifications et affiché un dossier de 13 victoires, 3 nuls et 1 défaite. Avec un trio offensif composé de Neymar, Philippe Coutinho et Gabriel Jesus, le spectacle promet d’être au rendez-vous. La Suisse possède une longueur d’avance pour la deuxième place, mais le Costa Rica espère refaire le même coup qu’en 2014 alors que la Serbie a connu d’excellentes qualifications.

Devraient se qualifier : Brésil, Suisse

21

La Suisse a obtenu son billet en passant par les barrages même si elle venait de remporter 21 points sur une possibilité de 24.

Groupe F 

Allemagne (1), Mexique (16), Suède (18), Corée du Sud (59)

L’Allemagne est la grande favorite à sa succession. Dans ce groupe, il y a donc les champions en titre, au-dessus du lot, et les trois autres pays pour s’arracher la deuxième place. Quelques faits pour illustrer la solidité allemande : des qualifications sans le moindre faux pas, une incroyable différence de buts (+ 39) et une profondeur à faire rêver n’importe quel sélectionneur. C’est d’ailleurs avec une équipe B que Joachim Löw a remporté la Coupe des confédérations. Le Mexique a dominé la CONCACAF en ne perdant qu’à une seule reprise – en 16 matchs – tandis que la Suède a éliminé l’Italie lors des barrages européens.

Devraient se qualifier : Allemagne, Mexique

20

Nombre de joueurs différents de la sélection allemande ayant fait trembler les filets lors de la campagne de qualifications, conclue par 10 victoires en 10 matchs.

Groupe G 

Belgique (5), Panamá (56), Tunisie (27), Angleterre (15)

La Tunisie, après 12 ans d’absence, et le Panamá, pour sa première participation, ont-ils les moyens de causer la surprise dans ce groupe ? Cela semble très difficile. Du point de vue anglais, les médias se sont félicités de ce tirage clément et du duel face à la Belgique plutôt que face à une tête de série plus expérimentée. Sur les ondes de RDS, Laurent Ciman a joué de prudence en parlant d’un « bon groupe avec des équipes de qualité ». Les liens entre la Belgique et l’Angleterre sont très forts puisqu’un important contingent des Diables rouges évolue en Premier League.

Devraient se qualifier : Belgique, Angleterre

27

Les Anglais n’ont plus atteint le carré d’as d’une Coupe du monde depuis 1990, soit 27 ans.

Groupe H 

Pologne (7), Sénégal (23), Colombie (13), Japon (55)

Chacun des quatre pays peut croire en ses chances de qualification dans ce groupe H. La Pologne peut évidemment s’appuyer sur Robert Lewandowski, meilleur buteur de la zone Europe, et sur ses performances lors du dernier Euro. Le Sénégal dispute la Coupe du monde pour la deuxième fois. En 2002, Aliou Cissé était le capitaine de cette sélection qui avait atteint les quarts de finale. Cette fois, il est l’entraîneur d’une génération qui monte (Sadio Mané, M’Baye Niang) et qui pourrait bien surprendre. La Colombie a atteint les quarts de finale, il y a quatre ans, mais n’a pas affiché la même solidité depuis.

Devraient se qualifier : Colombie, Sénégal

6

Les Japonais participeront à leur sixième Coupe du monde consécutive. Ils ont atteint les huitièmes de finale en 2002 et 2010.

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