« Un peu d’humanité, s’il vous plaît »
Les partis de l’opposition font front commun contre la réforme en immigration du ministre Simon Jolin-Barrette, qui modifie les règles d’un programme permettant aux étudiants et aux travailleurs étrangers d'accéder plus rapidement à la résidence permanente.
Québec — Les partis de l’opposition, des associations étudiantes, des travailleurs temporaires et des étudiants étrangers – dont certains étaient en pleurs – ont imploré le gouvernement Legault, hier, de ne pas restreindre l’accès à un programme d’immigration qui sert de voie rapide vers la résidence permanente à une liste limitée de domaines d’études ou d’emplois ciblés par la pénurie de main-d’œuvre.
Au terme d’une période des questions explosive qui a exclusivement porté sur le sujet de l’immigration – un fait extrêmement rare à l’Assemblée nationale –, le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, a refusé de rencontrer les étudiants et travailleurs étrangers qui assistaient aux travaux dans les gradins.
« Ça reste quelque chose de très méprisant. C’est comme si on nous disait de rentrer chez nous tout de suite », a vivement réagi Clément Sageste.
« Je ne m’attendais pas à si peu d’humanité. Je ne pensais pas que c’était possible d’être complètement dans l’ignorance de notre présence. Je suis vraiment surprise », a ajouté Elsa Corgié.
Dans une rare sortie commune, hier, le Parti libéral du Québec, Québec solidaire et le Parti québécois étaient accompagnés de dizaines d’étudiants étrangers qui ont choisi le Québec pour y étudier et y faire leur vie. Ils ont exigé que Simon Jolin-Barrette retire un nouveau règlement qui limite l’accès au Programme de l’expérience québécoise (PEQ) à une liste de domaines d’études et de catégories d’emplois.
« Ces personnes qui sont ici, ils travaillent, ils paient des taxes et on va les envoyer chez eux. Ils sont intégrés, ils parlent français […]. Pourquoi est-ce qu’on va se priver de ces talents-là ? Un peu d’humanité, s’il vous plaît », a plaidé en chambre le député libéral Carlos Leitão.
« Vous êtes en train de remettre notre avenir en question », a pour sa part déploré, la gorge nouée, une jeune travailleuse temporaire belge présente au Québec depuis plus d’un an.
« Je me sens plus Québécoise que Française. Je suis peut-être née ailleurs, mais mon présent et mon avenir sont ici », a renchéri Claire, étudiante à l’Université de Montréal, ajoutant que « le Québec, je pensais que c’était chez moi ». Certains étudiants présents au parlement, qui ont dépensé des milliers de dollars pour étudier au Québec, ne sont plus admissibles au PEQ et craignent de devoir quitter la province une fois leurs études terminées.
« Lorsqu’on détient un permis d’études comme étudiant étranger ou lorsqu’on détient un permis de travailleur étranger temporaire, il n’y aucune garantie d’être admis dans le Programme de l’expérience québécoise ou dans le Programme régulier des travailleurs qualifiés », a répondu lors de la période des questions le ministre Simon Jolin-Barrette.
« Je peux vous assurer que je suis sensible au fait que certaines personnes ne sont plus admissibles dans le cadre du [PEQ]. Cela étant dit, il est possible d’obtenir un permis de travail post-diplôme qui pourrait mener éventuellement à une sélection dans le cadre [d’un autre programme] si on répond aux besoins du marché du travail », a-t-il ajouté.
En mêlée de presse, hier, le premier ministre François Legault a répondu aux étudiants et aux travailleurs étrangers que la « capacité d’intégration [du Québec] est limitée ». Les étudiants qui ont pris la parole dans le foyer du parlement, en matinée, ont toutefois rappelé qu’ils parlaient français, travaillaient en français et que certains étaient en voie d’obtenir un diplôme québécois qui n’est plus reconnu par Québec comme faisant partie d’un domaine répondant à la pénurie de main-d’œuvre.
« Si on acceptait tous les étudiants, il y en a 70 000, un moment donné, il faut prioriser. Se concentrer sur l’économie et répondre aux besoins du marché du travail », a dit M. Legault.
Le premier ministre a également évoqué que le Québec recevait à ses yeux plus de réfugiés que d’autres nations dans le monde. La province pourrait augmenter le nombre d’immigrants économiques qu’elle accueille chaque année si elle pouvait réduire le nombre de réfugiés qu’elle reçoit, a-t-il dit.
« Il y a 60 % [des immigrants qu’on accueille] qui sont des immigrants économiques. On voudrait augmenter ce chiffre à 65 %. Actuellement, il y a quand même plus du tiers des immigrants qui viennent parce que ce sont des réfugiés […] et qui n’ont pas les qualifications pour occuper un emploi. […] Quand on compare le nombre de personnes qu’on reçoit pour des raisons humanitaires au Québec, on en reçoit beaucoup plus qu’ailleurs dans le monde », a déploré M. Legault.
Pour le chef par intérim du Parti québécois, Pascal Bérubé, le « dérapage » du gouvernement Legault sur l’immigration « va coûter cher à l’économie du Québec et à l’image de notre nation ».
« Qu’est-ce qui cloche ? Ils sont déjà au Québec, ils sont éduqués, ils sont intégrés et sont souvent dans des régions. Ils parlent français. Ils sont des nôtres. »
— Pascal Bérubé, chef par intérim du Parti québécois, lors de la période des questions
Dans sa circonscription, à Matane, la réforme de l’immigration forcerait « 200 étudiants sur 700 [à partir] » et « sept programmes sur neuf [à] fermer », a-t-il ajouté.
La Fédération des cégeps a également dénoncé les modifications au PEQ qui touchent selon elle « près de 50 % des 3460 étudiants internationaux actuellement en formation technique ».
« Il serait inadmissible que ces étudiants, qui sont motivés, réussissent leurs études et sont bien intégrés au Québec […], ne puissent accéder à la résidence permanente alors que leur parcours en fait des immigrants de choix », a dénoncé la Fédération.
« Dans les cégeps, il y a des DEC dans des domaines où il nous manque de personnel. Il y a des DEC dans des domaines où il ne nous manque pas de personnel. Ce n’est pas vrai qu’on va commencer à amener des gens dans des domaines où on n’a pas de besoin sur le marché du travail juste pour remplir des cégeps », a affirmé le premier ministre François Legault.
« C’est une vision étroite, comptable et insensible de l’immigration. […] Il y a une seule option pour Simon Jolin-Barrette et c’est le recul complet et total sur ce règlement qui va briser des milliers de vies », a de son côté déploré hier Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire.
En mêlée de presse, le ministre de l’Immigration a pour sa part répété qu’il avait resserré les règles en fonction des besoins du marché du travail.
« Je donne l’exemple de quelqu’un qui ferait un bac en droit ici au Québec. Il y a suffisamment d’avocats au Québec, ce que ça nous prend, ce ne sont pas uniquement des diplômés universitaires », a tranché M. Jolin-Barrette.
— Avec Martin Croteau, La Presse