Montréal

Livres dans la rue : les services maintenus

La mairesse Valérie Plante « assure que les services offerts » par le programme Livres dans la rue « seront maintenus et même bonifiés pour correspondre aux besoins actuels ». Hier, La Presse rapportait que l’administration Plante avait choisi de suspendre le programme. Des animateurs ainsi que la figure de proue de Livres dans la rue, Christiane Charette, dénonçaient la décision d’interrompre le service à compter de mai. Or, en soirée, la mairesse a affirmé sur Twitter que le programme favorisant la lecture chez les enfants issus de milieux défavorisés « demeurait en place ». La Ville de Montréal révise actuellement le programme qui connaît une baisse de popularité. — Fanny Lévesque, La Presse

Chronique

L’hibernation institutionnalisée

Je sais, vous n’en pouvez plus. Vous n’êtes plus capables. Vous êtes tannés. Déprimés, agressés, angoissés. L’hiver vous rentre dedans. Comme jamais auparavant. Est-ce la faute des bombes météorologiques qui tombent de partout ? Est-ce la faute du mauvais déneigement ? Est-ce la faute du Canadien qui n’est même pas fichu de nous désennuyer ? Est-ce la faute de la grippe d’homme qui risque vraiment de nous tuer ?

L’hiver n’est plus une saison. L’hiver est un ennemi public. On en a peur. C’est un film d’horreur. Sur les routes, c’est l’enfer. Pourtant, s’il y a un peuple qui devrait maîtriser la conduite automobile en hiver, c’est bien les Québécois. Jacques Cartier n’était pas encore un pont qu’on se déplaçait déjà dans des chemins enneigés. Savoir quand accélérer, savoir quand freiner, ça devrait être dans notre ADN. Ben non, toi ! À la moindre bordée, c’est comme si on n’avait jamais vu neiger. Il y a ceux qui conduisent trop vite qui rentrent dans ceux qui conduisent trop lentement. Le carambolage est devenu notre sport national. On carambole même quand il fait beau. Une petite plaque de glace noire de dix pouces, et le derby de démolition commence. Il y a une seule personne qui sait chauffer en hiver au Québec : c’est vous ! Tous les autres conducteurs sont pourris.

Il y a deux sortes de Québécois en hiver. Celui qui vit dans le déni et celui qui vit dans la peur.

Celui qui vit dans le déni se promène en veston et en souliers à - 20 °C. Il va au bureau à vélo. Et quand il tousse, ça sonne comme Despacito. Pour lui, l’hiver n’existe pas. Ça ne l’atteint pas.

Celui qui vit dans la peur se promène avec deux Kanuk sur le dos. Il irait au bureau dans une déneigeuse s’il le pouvait. Et quand il tousse, ça sonne comme du Gilles Vigneault. Pour lui, l’hiver existe, c’est lui qui n’existe pas. Ça l’atteint au dernier degré sous zéro.

Mais que l’on soit dans le déni ou dans l’angoisse, c’est la même chose, le même destin, le même diagnostic. L’hiver nous traumatise. Bien sûr, il y a les chanceux qui en profitent pour s’envoler dans le Sud, en s’empressant d’exposer leur vie au chaud sur Instagram. Les écœurants ! Ils ne font qu’ajouter à la détresse des prisonniers de l’hiver québécois. On ne veut pas vous voir ! 

Si les photos d’Eugenie Bouchard ont provoqué tant de réactions, ce n’est pas parce qu’elles sont osées, ce n’est pas parce qu’elle devrait pratiquer son tennis au lieu de poser, c’est parce qu’elle est en maillot au soleil, pendant que nous, on se les gèle dans le banc de neige. On est jaloux ! C’est tout.

On est jaloux d’Eugenie. On est jaloux de tous ceux qui sont en costume de bain. On ne va pas bien. Y’a pas juste les infirmières qui filent pas au Québec. Tout le monde ne file pas au Québec. Tout le monde est à bout, sauf les médecins. Parce que les médecins, entre deux primes de ponctualité, jouent au golf en Floride.

Bref, tous ceux qui restent ici sont en burn-out. Ou plutôt en frozen-out. On n’est pas brûlés, on est gelés. Un jour ou l’autre, il va falloir prendre les grands moyens pour éviter la déprime collective. Pour trouver la solution, tournons-nous vers nos amis les bêtes. Que font les marmottes, les loirs, les hérissons et les hamsters pour se protéger des affres de l’hiver ? Ils hibernent. Ils entrent en léthargie. Leurs pulsations cardiaques tombent à trois battements à la minute. Ils déploguent. Faisons comme eux. On ferme le Québec, du 1er janvier au 1er mars. Tout le monde dans la maison. C’est la mairesse Plante qui va être contente. Pus besoin de ramasser la neige. Pus besoin de casser la glace. On attend que ça fonde. On ne sort pas. Deux mois au lit. À regarder des séries. À gosser sur nos téléphones et nos tablettes. Le cerveau à zéro.

L’hibernation institutionnalisée. Le grand sommeil. 

Vous allez me dire : et la productivité ? Parlons-en, de la productivité ! En janvier et février, le Québécois est aussi productif que l’attaque du Canadien. Il est trop occupé à pelleter, à moucher et à tousser.

De toute façon, il va finir enfermé dans la maison avec une bronchite. Le résultat est le même. Sauf qu’on n’aura pas besoin de se cracher le poumon pour s’absenter.

La seule productivité découlant de l’activité du Québécois, en hiver, c’est la transmission des microbes. La reproduction des souches grippales. Si tout le monde reste chez soi, les virus et les bactéries n’auront plus accès à la mobilité. Ils vont arrêter de se propager. Économiquement, l’hibernation est donc très rentable. Elle permet d’épargner des sommes astronomiques en soins de santé, en déneigement, en sécurité routière. Si tout le monde somnole, même les infirmières vont pouvoir se reposer. Les compagnies d’assurances vont cesser d’épier les gens, puisque la population entière sera en congé forcé.

Ces deux mois de décrochage rendront le Québécois encore plus performant de mars à janvier. Imaginez, au premier redoux, on va vouloir tout arracher. Comme l’ours sortant de sa tanière, on va être prêts à traverser les océans. Toute cette énergie conservée !

Parce que ce qu’il y a de plus épuisant avec l’hiver, c’est tout le temps qu’on perd à pester contre l’hiver. Que ceux qui n’aiment pas dorment. Et que ceux qui aiment en profitent pour s’amuser. Sans entendre les sacres de frustrés briser la douce quiétude de la blancheur infinie.

En attendant l’hibernation institutionnalisée, je vous souhaite de rejoindre le groupe de ceux qui aiment. C’est plus reposant.

Bon samedi d’hiver !

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