Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional

ils font leur nid au québec

Cinq ans de travail de terrain. Plus de 1800 collaborateurs enrôlés. Du temps d’observation qui dépasse le cap des 100 000 heures. Fruit d’un travail colossal, le deuxième Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional débarque en librairie ces jours-ci. Zoom sur un ouvrage scientifique hors du commun porteur de bonnes nouvelles pour certains oiseaux… mais de très mauvaises pour d’autres.

Une armée de bénévoles

Rarement la planification d’un livre aura-t-elle autant ressemblé à une campagne militaire. De leurs bureaux, les coordonnateurs de l’ouvrage ont divisé le Québec méridional (sous les 50,5 degrés de latitude Nord) en 5509 parcelles de 10 km sur 10 km. Les trois quarts d’entre elles étaient mal ou non desservies par le réseau routier. Puis, pendant cinq étés consécutifs, une armée de bénévoles a été envoyée dans ces zones souvent sauvages et reculées. Sa mission : détecter le moindre signe indiquant la nidification d’oiseaux. Chants, oiseaux qui se font la cour, nids contenant des œufs : pas moins de 20 indices, chacun identifié par un code, ont été utilisés pendant ce vaste recensement qui a impliqué 1806 collaborateurs.

« Nous avons vu des bénévoles se dédier totalement au projet. Je pense à un médecin qui se levait à 3 h du matin, qui allait faire des inventaires pour l’Atlas, puis qui rentrait travailler à l’urgence à 8 h. C’est en grande partie grâce à eux que l’Atlas a pu paraître », dit Marie-Hélène Hachey, biologiste et adjointe à la coordination de l’Atlas pour le regroupement QuébecOiseaux.

Selon Michel Robert, coordonnateur du projet au Service canadien de la faune d’Environnement Canada, la valeur des heures travaillées bénévolement pour ce livre dépasse le million de dollars. L’organisation Études d’oiseaux Canada a aussi participé à la coordination de l’Atlas.

Équipes d’élite

En plus des bénévoles, les coordonnateurs du projet ont embauché chaque été une dizaine d’ornithologues très expérimentés pour ratisser les coins les plus reculés du Québec méridional.

« On les équipait avec un arsenal de matériel parce qu’ils étaient vraiment en autonomie totale pendant deux mois – camionnette, VTT, tente… Ils étaient en camping la plupart du temps, et on parle de camping vraiment sauvage », raconte Marie-Hélène Hachey, qui gardait un contact téléphonique hebdomadaire avec ces équipes et faisait parfois même office de thérapeute. La principale doléance de ces coureurs des bois modernes : les moustiques. L’un d’entre eux, Jean-Pierre Artigau, a même publié un récit de ses aventures pour l’Atlas intitulé « Des oiseaux et des mouches ».

Des gagnants…

Comme un premier atlas avait été publié en 1995, le nouvel ouvrage permet de mesurer les changements dans les aires de nidification et la fréquence d’observation des oiseaux. « Le premier constat est que ça a énormément changé, dans certains cas beaucoup plus que ce qu’on avait envisagé », dit Michel Robert. Trois espèces en particulier ont profité des changements climatiques pour se multiplier au Québec : le troglodyte de Caroline, le pic à ventre roux et la mésange bicolore. « Ce sont des oiseaux typiquement associés aux forêts de feuillus de l’est des États-Unis », explique Michel Robert. Sa collègue Marie-Hélène Hachey précise que ce sont les hivers plus cléments qui ont favorisé leur implantation chez nous. Les oiseaux de proie comme le pygargue à tête blanche, l’urubu à tête rouge, le faucon pèlerin et l’épervier de Cooper sont aussi beaucoup plus nombreux au Québec. Dans ce cas, Michel Robert pointe les pesticides dits organochlorés comme le DDT, aujourd’hui interdits, qui s’accumulaient jadis dans la chaîne alimentaire et fragilisaient les œufs des rapaces. Le bien connu cardinal rouge est aussi en pleine expansion au Québec.

... Et des perdants

Ces bonnes nouvelles sont toutefois obscurcies par une véritable hécatombe chez les oiseaux « champêtres », donc ceux qui vivent en milieu agricole. « Ici, on parle de très mauvaises nouvelles généralisées », dit Michel Robert. Depuis la recension de 1995, l’alouette hausse-col a, par exemple, disparu de 78 % des aires de nidification. L’urbanisation, la disparition des pâturages et l’augmentation de vastes champs de monocultures, dans lesquels les oiseaux ne peuvent nicher, sont montrées du doigt. Les espèces qui se nourrissent d’insectes en plein vol, comme les hirondelles et le martinet ramoneur, sont particulièrement frappées. La baisse dramatique du nombre d’insectes volants fait la manchette partout dans le monde, une situation notamment attribuée aux pesticides néonicotinoïdes. Des espèces connues comme gros-bec errant, l’oriole de Baltimore et même le moineau domestique sont aussi en forte baisse.

Le défi de publication

Après avoir dirigé le travail terrain, les coordonnateurs de l’Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional n’étaient pas au bout de leurs peines. « Il n’y a pas un éditeur qui a accepté de prendre en charge l’édition de ce livre, raconte Michel Robert. Non seulement il coûte une fortune à imprimer, mais en plus aucun n’éditeur n’était à même d’en réviser le contenu. » Ils ont donc décidé de faire le travail eux-mêmes. Et pour financer les importants coûts d’impression, ils ont fait une prévente de l’ouvrage, demandant aux passionnés de payer leur exemplaire avant de le recevoir. Le livre est aujourd’hui offert en librairie pour 89,95 $.

Un ouvrage scientifique

Avec ses 694 pages et sa reliure cartonnée, l’Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional n’est pas un guide d’identification des oiseaux à mettre dans son sac à dos avant une randonnée en montagne. Il s’agit plutôt qu’un ouvrage de référence visant à documenter la répartition des espèces au Québec et l’évolution de leurs populations. Comme son nom l’indique, il s’intéresse aux oiseaux qui font leur nid chez nous pour s’y reproduire. Les oiseaux de passage, qui s’arrêtent au Québec lors de leurs migrations, n’en font pas partie.

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