Développement de l’enfant

Attention, bébés hypersensibles !

Annick Bourbonnais était enthousiaste à l’idée d’être mère. « J’étais prête à me dévouer entièrement à mon nouveau rôle, mais je ne m’attendais pas à ça », avoue la maman de 34 ans. « Ça » étant Liliane, un adorable bébé de 9,9 livres, qui, à peine sortie du ventre de sa maman, a réclamé le sein pour ne plus le lâcher pendant trois jours ; qui refusait de vivre ailleurs que dans les bras de sa mère, incapable de la déposer ne serait-ce que quelques minutes sous peine d’endurer une « méga crise » ; qui était allergique au sommeil et hypersensible aux sons, à la lumière et aux textures… Aujourd’hui âgée de 3 ans, Liliane était ce qu’on appelle un BABI, un bébé aux besoins intenses.

Quiconque navigue quelques minutes sur les groupes de discussion de mères finira par tomber sur cet acronyme qui en fait tiquer plusieurs. Certains disent que ce ne sont que des enfants capricieux. D’autres estiment que c’est le fruit du laisser-aller des parents. Le BABI n’est pourtant pas issu de l’imagination de mères et de pères au bout du rouleau. Il existe bel et bien.

« Ce sont des bébés dont les fonctions biologiques sont moins régulières, ce qui influe entre autres sur leur appétit et leur cycle d’éveil et de sommeil, explique Alexandra Paquette, psychoéducatrice au CLSC de Saint-Laurent. Ils s’adaptent moins facilement au changement, prennent plus de temps à s’ajuster, se montrent plus colériques, pleurent souvent et sont difficilement consolables. »

INTENSES, MAIS PAS IRRITABLES

Selon une étude américaine menée dans les années 50, environ 10 % des poupons viendraient au monde avec un « tempérament difficile », une expression courante dans la littérature scientifique que des professionnels en périnatalité n’apprécient guère en raison de sa connotation négative. Voilà pourquoi l’appellation « bébés aux besoins intenses » – ou enfants « réactifs », ou encore « plus sensibles » – a été remise au goût du jour depuis quelques années. En effet, le concept n’a rien de nouveau. Il a été inventé dans les années 80 par le Dr William Sears, un pédiatre américain très médiatisé, reconnu pour vanter les mérites du cododo, du portage et de l’allaitement prolongé. Le Dr Sears a d’ailleurs consacré un ouvrage entier au BABI, Que faire quand bébé pleure ? Vivre avec un bébé aux besoins intenses.

Ingrid Bayot, infirmière, sage-femme de formation et formatrice en périnatalité, émet une réserve par rapport au livre du Dr Sears. « Il ne fait pas suffisamment la différence entre les bébés intenses et les bébés irritables, signale-t-elle. L’un comme l’autre dorment peu, pleurent beaucoup et leurs parents sont épuisés, mais le bébé irritable vit un inconfort permanent qui le rend maussade, agité, tendu. Une visite chez le médecin pourrait mettre en évidence des allergies alimentaires, une infection ou un reflux. »

Au contraire, poursuit-elle, le bébé intense n’aura d’intense que son tempérament. « Quand il perce une dent, tout le quartier est au courant. En revanche, quand il s’amuse, il rit à gorge déployée. On dit de lui qu’il est difficile, mais c’est parce qu’il ne correspond pas au modèle de bébé des magazines, sage comme une image. »

DUR, DUR D’ÊTRE PARENT DE BABI

« Mon fils est fantastique… et fantastiquement épuisant ! », laisse tomber Michèle, 30 ans, doctorante en enseignement des mathématiques et maman d’un garçon de 17 mois. Dès la naissance, il pleurait sans cesse, à moins d’être au sein ou de dormir sur sa mère qui ne pouvait bouger, au risque de le réveiller. Pour l’endormir, Michèle devait l’insérer dans le porte-bébé et piquer une course dans la maison. « Rien d’autre ne fonctionnait », dit-elle.

Exténuée, courbaturée et en proie à des migraines, la nouvelle maman se présente à la clinique d’allaitement de son CLSC alors que son fils a à peine 3 mois. C’est là qu’une infirmière lui parlera des BABI. « J’étais réticente à l’idée d’étiqueter mon enfant, mais le fait qu’une personne ait mis un mot sur ce que je vivais m’a soulagée, déclare-t-elle. Mon bébé n’était pas le seul à réagir ainsi. Et ce n’était pas ma faute ! »

Même son de cloche du côté de Marie Noelle Marineau, 30 ans, une blogueuse de Drummondville dont le deuxième enfant, Benjamin, est un BABI. « Cela n’avait rien à voir avec notre aîné, se remémore-t-elle. Il buvait tout le temps, pleurait fréquemment et la seule chose qui le réconfortait, c’était mes bras. En fait, il a passé la première année de sa vie dans le porte-bébé. »

« C’est notre superinfirmière qui m’a parlé des BABI et, après quelques lectures, je me suis rendue à l’évidence que ça décrivait en bonne partie mon fils. Ce fut une découverte réconfortante. Mon fils n’était pas malade. Il avait juste un tempérament différent. »

— Marie Noelle Marineau

Avec le temps, les parents finissent par apprivoiser leur BABI. Pour la plupart, la meilleure technique consiste à répondre rapidement aux besoins de leur bébé afin de le rassurer, lui qui est un grand anxieux de nature. Malheureusement, cela n’a pas l’air de plaire à tous. « Tu le gâtes trop. » « Dépose-le. Il va s’habituer. » « Tu n’as qu’à l’emmailloter. » « Je vais te montrer comment faire. » Voilà comment se font souvent admonester les parents de BABI. « Le regard des autres me pesait, confie Annick Bourbonnais. Dans les rencontres familiales, je tentais de camoufler le fait que mon bébé n’était pas facile. »

Les parents de BABI ont aussi du mal à trouver une oreille attentive dans le milieu de la santé. « J’aurais aimé que l’infirmière qui a constaté mon épuisement m’offre un suivi », remarque Michèle. Elle s’estime chanceuse d’avoir pu compter sur sa famille. « Ça te prend au moins deux paires de bras, sinon tu vires fou ! », ajoute-t-elle. Pour le moment, les ressources d’aide ciblant spécifiquement les parents de BABI n’existent pas. C’est pourquoi plusieurs vont chercher du réconfort dans des groupes de discussion sur les réseaux sociaux.

Néanmoins, la vie avec un BABI n’est pas un combat perpétuel. Leurs parents aiment bien dire qu’ils sont très intelligents, curieux, affectueux et empathiques. « Avec toute son intensité, Liliane fait de nous de meilleures personnes, plus tolérantes, bienveillantes, patientes et aimantes, observe Annick Bourbonnais. Je ne l’en remercierai jamais assez ! »

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