Club de lecture

Appel à tous

Envie d’échanger, de faire partager votre passion pour les livres ? Le Club de lecture de La Presse, ouvert à tous dans un blogue à lapresse.ca, vous en donne l’occasion. Régulièrement, l’équipe des Arts vous soumettra un titre en vous demandant de le critiquer, en 200 mots maximum. Le livre que nous vous demandons de commenter cette semaine est Soumission, de Michel Houellebecq. Envoyez votre texte et votre cote (de 1 à 5 étoiles) sur le blogue Club de lecture à lapresse.ca. Nous sommes curieux de vous lire. — Josée Lapointe, chef de division Lecture

EXTRAIT

À l’état sauvage, de Robert Lalonde

« Le vent faisait se balancer les longues épinettes en bordure de la piste. J’avais eu peur, j’étais hors de danger, j’avais failli partir avant mon heure et, bêtement, je trouvais le temps long. Quel drôle d’animal j’étais, oscillant entre le temps compté et le temps perdu, le temps qui presse et le temps mort, incompétent à me donner tout entier à l’immortel instant présent. »

CRITIQUE ROBERT LALONDE

En veste d’écrivain

À l’état sauvage

Robert Lalonde

Boréal, 168 pages

Trois étoiles

Vingt-cinq. Le comédien Robert Lalonde compte bel et bien 25 livres – romans, nouvelles, poèmes, carnets… – à son actif depuis 1981. Le 25e de ses ouvrages, À l’état sauvage, est en librairie depuis mardi dernier. Roman ? Récit autobiographique ? Recueil de nouvelles ? Oui, mais non.

Chacun des chapitres d’À l’état sauvage est en effet consacré à une rencontre, de quelques heures ou quelques journées, entre le personnage de l’écrivain et un homme. Jamais le même homme : c’est un voisin ou un ex-ami proche, un jeune amateur de mots mystères ou un vieux copain du père de l’écrivain, un garagiste au parcours chaotique ou un enfant « agité »… Jamais le même homme, mais tous habités par un même constat, que résume Robert Lalonde en une question : « Pourquoi es-tu moins sensible à ce que tu as qu’à ce qui te manque ? » (p. 116)

S’appuyant sur les propos de chacun de ces hommes et sur les sentiments qu’ils éveillent en lui, citant aussi bien Nietzsche que le chanteur Benoit Pinette (Tire le coyote), l’écrivain s’interroge sur le mal-être et l’impression (l’illusion ?) de n’être pas comme les autres, la perte inéluctable de l’innocence et le goût puissant de la dérive, la chute de l’ange et le désespoir tranquille cher au modèle québécois.

Bref, l’insatisfaction quasi innée de l’homme, amplifiée en cette ère où l’on se méfie des héros et des nomades. Si ces thèmes, Robert Lalonde les a souvent abordés, il en tire de nouveau des dialogues, des répliques qui captent en quelques mots ce que chacun d’entre nous peut ressentir un jour : « Vois-tu, j’ai voulu beaucoup de choses dans ma vie. Mais pour dire, j’ai jamais rien possédé d’autre que des désirs. » (p. 43)

ÉCRIRE LA NATURE

N’étant pas toutes d’égale force, ces rencontres masculines ont parfois quelque chose d’un peu artificiel. D’un peu narcissique aussi, tant l’écrivain fait de chaque homme rencontré son miroir à la fois appréciatif et trouble.

Et est-ce parce que Lalonde est comédien, habitué aux costumes ? Toujours est-il qu’il fait commenter la veste de cuir que porte l’écrivain par chacun des hommes qu’il rencontre (« ta veste de voyou », « ta guenille de cuir de bandit de grand chemin », « ta fripe de vieux poète maudit », « ta veste de cuir de vieux rebelle », « ton jacket de cuir », etc.) et, mon Dieu, le procédé est un peu malhabile…

La beauté, c’est qu’on peut faire fi de ces réserves en s’attachant à ce que réussit Robert Lalonde quand il écrit la nature. Comment fait-il ? Comment parvient-il, une fois de plus, à décrire autrement tel ciel ou tel marais ? À trouver les mots qu’il faut pour que s’élèvent dans notre imagination un bouleau ou une tempête, la nuance exacte d’un nuage ou l’éclat fidèle d’un lac, avec le brio d’une Gabrielle Roy ou d’une Colette qui seraient nées au Québec… Tout ce « roman » qu’est À l’état sauvage est jalonné de ces magnifiques moments d’écriture et de nature conjuguées.

Dans cet univers à la fois sauvage et habité – car il y a généralement un garage, un chalet ou un bateau, toujours trop propre ou trop décrépit, même au milieu des plus purs paysages –, les hommes peinent à faire le poids. Ils sont seuls, perdus, flottants, en dépit des mots qu’ils lancent aux autres hommes. Jusqu’à ce qu’un de ces hommes, parfois à la faveur d’une chute, se révèle être le bon…

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