Vingt-cinq. Le comédien Robert Lalonde compte bel et bien 25 livres – romans, nouvelles, poèmes, carnets… – à son actif depuis 1981. Le 25 de ses ouvrages, , est en librairie depuis mardi dernier. Roman ? Récit autobiographique ? Recueil de nouvelles ? Oui, mais non.
Chacun des chapitres d’ est en effet consacré à une rencontre, de quelques heures ou quelques journées, entre le personnage de l’écrivain et un homme. Jamais le même homme : c’est un voisin ou un ex-ami proche, un jeune amateur de mots mystères ou un vieux copain du père de l’écrivain, un garagiste au parcours chaotique ou un enfant « agité »… Jamais le même homme, mais tous habités par un même constat, que résume Robert Lalonde en une question : « Pourquoi es-tu moins sensible à ce que tu as qu’à ce qui te manque ? » (p. 116)
S’appuyant sur les propos de chacun de ces hommes et sur les sentiments qu’ils éveillent en lui, citant aussi bien Nietzsche que le chanteur Benoit Pinette (Tire le coyote), l’écrivain s’interroge sur le mal-être et l’impression (l’illusion ?) de n’être pas comme les autres, la perte inéluctable de l’innocence et le goût puissant de la dérive, la chute de l’ange et le désespoir tranquille cher au modèle québécois.
Bref, l’insatisfaction quasi innée de l’homme, amplifiée en cette ère où l’on se méfie des héros et des nomades. Si ces thèmes, Robert Lalonde les a souvent abordés, il en tire de nouveau des dialogues, des répliques qui captent en quelques mots ce que chacun d’entre nous peut ressentir un jour : « Vois-tu, j’ai voulu beaucoup de choses dans ma vie. Mais pour dire, j’ai jamais rien possédé d’autre que des désirs. » (p. 43)
N’étant pas toutes d’égale force, ces rencontres masculines ont parfois quelque chose d’un peu artificiel. D’un peu narcissique aussi, tant l’écrivain fait de chaque homme rencontré son miroir à la fois appréciatif et trouble.
Et est-ce parce que Lalonde est comédien, habitué aux costumes ? Toujours est-il qu’il fait commenter la veste de cuir que porte l’écrivain par chacun des hommes qu’il rencontre (« ta veste de voyou », « ta guenille de cuir de bandit de grand chemin », « ta fripe de vieux poète maudit », « ta veste de cuir de vieux rebelle », « ton jacket de cuir », etc.) et, mon Dieu, le procédé est un peu malhabile…
La beauté, c’est qu’on peut faire fi de ces réserves en s’attachant à ce que réussit Robert Lalonde quand il écrit la nature. Comment fait-il ? Comment parvient-il, une fois de plus, à décrire autrement tel ciel ou tel marais ? À trouver les mots qu’il faut pour que s’élèvent dans notre imagination un bouleau ou une tempête, la nuance exacte d’un nuage ou l’éclat fidèle d’un lac, avec le brio d’une Gabrielle Roy ou d’une Colette qui seraient nées au Québec… Tout ce « roman » qu’est est jalonné de ces magnifiques moments d’écriture et de nature conjuguées.
Dans cet univers à la fois sauvage et habité – car il y a généralement un garage, un chalet ou un bateau, toujours trop propre ou trop décrépit, même au milieu des plus purs paysages –, les hommes peinent à faire le poids. Ils sont seuls, perdus, flottants, en dépit des mots qu’ils lancent aux autres hommes. Jusqu’à ce qu’un de ces hommes, parfois à la faveur d’une chute, se révèle être le bon…