Analyse

Trump, l’ALENA et le Canada

Le candidat républicain Donald Trump a réitéré hier sa volonté de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) entre les États-Unis, le Mexique et le Canada, en vigueur depuis 1994.

À ses yeux, tout comme à ceux du candidat démocrate de gauche défait Bernie Sanders et de beaucoup de cols bleus désœuvrés depuis le début du millénaire, l’ALENA désavantage les Américains et favorise tout particulièrement les Mexicains, cible commerciale préférée du milliardaire, avec la Chine.

Tentons de faire la part des choses.

CE QU’EST L’ALENA

L’ALENA élargit un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis entré en vigueur en 1989. Tous deux ont été portés par Brian Mulroney du côté canadien et par les républicains Ronald Reagan et George H.W. Bush du côté américain. Le président mexicain Carlos Salinas de Gortari a complété le trio des Tres Amigos.

À la différence de l’Union européenne, l’ALENA ne vise pas la création d’institutions supranationales ni la libre circulation des citoyens. Il favorise plutôt celle des biens, des services et des investissements, en harmonisant les réglementations, en officialisant l’anglais, l’espagnol et le français dans l’étiquetage et, surtout, en aplanissant les tarifs douaniers.

À qui profite-t-il le plus ?

Selon Donald Trump, ce serait avant tout au Mexique. En apparence, c’est vrai, comme c’est généralement le cas des discours populistes.

Les États-Unis ont un déficit annuel de leur balance commerciale d’environ 60 milliards avec le Mexique et de quelque 14 milliards avec le Canada sur un manque à gagner total de quelque 730 milliards. Les trois plus gros déficits sont avec la Chine, l’Union européenne et le Japon.

Les États-Unis importent surtout du Mexique des pièces d’autos et du pétrole. Imposer des tarifs de 35 % sur les biens mexicains comme le propose Donald Trump, c’est donc pénaliser les usines américaines d’assemblage de véhicules ou les trois grands constructeurs qui ont délocalisé une partie de leur production pour diminuer le prix au détail. C’est pénaliser aussi les raffineurs américains d’essence ou de kérosène et les fabricants de plastiques, tous des exportateurs nets.

En substance, l’ALENA ne défavorise pas les États-Unis qui exportent aussi beaucoup de services financiers, informatiques et culturels au pays des sombreros.

La relocalisation des emplois déplacés au Mexique permettrait-elle de « rendre à l’Amérique sa grandeur d’antan » ?

Sûrement pas. Les maquiladoras, ces usines aux faibles salaires, sont moins productives que celles des États-Unis. Le salaire horaire dans le secteur automobile y était de 8,19 $US en 2013, contre une moyenne de 46,35 $US aux États-Unis et de 41,06 $US au Canada, selon une étude de Desjardins.

Toutefois, ces faibles salariés sont trois fois et demie moins productifs que les travailleurs américains, faute de compétences et d’équipements adéquats, selon une étude de TD publiée cette semaine.

En traversant la frontière, les 3500 emplois se réduisent donc à 1000 sans pour autant que les coûts de production diminuent au niveau mexicain. Le prix des véhicules américains augmenterait donc face à leurs concurrents japonais ou allemands.

La baisse du travail en usine n’est pas uniquement le fruit de la délocalisation. C’est avant tout un processus de gains de productivité. En 1945, il occupait un travailleur américain sur trois. En 1994, à l’entrée en vigueur de l’ALENA, ce n’était plus que 25 %. Aujourd’hui, c’est à peine plus de 10 %, comme au Canada d’ailleurs.

Et le Canada dans tout ça ?

Tenir un discours protectionniste n’est pas le monopole de Donald Trump. Comme lui, Hillary Clinton s’engage à ne pas ratifier le Partenariat transpacifique, un vaste accord qui rendrait caduc l’ALENA.

Il est beaucoup plus facile de ne pas ratifier un accord que d’en renégocier un déjà en vigueur. D’autant plus que la réouverture de l’ALENA exigerait la sanction du Congrès puisqu’il l’a voté.

Donald Trump ne s’en est pas pris directement au commerce avec le Canada. Et pour cause : nous sommes le premier client des États-Unis, tant pour les produits finis que pour des intrants dans les chaînes internationales de valeur ajoutée.

Cela dit, malgré l’ALENA, il subsiste des barrières commerciales entre les deux pays. Pensons au bois d’œuvre qui refait l’objet d’âpres négociations et qui risque de limiter l’accès des producteurs québécois au marché de l’habitation américain à nouveau en plein essor.

On ne peut écarter quelques mesures protectionnistes ciblées pour montrer aux électeurs que le sauveur de l’Amérique tient ses promesses. L’an dernier, la valeur des biens exportés aux États-Unis a totalisé 397 milliards, soit 75,6 % de nos expéditions à l’étranger. C’est tout de même 2,5 milliards de moins qu’en 2014. Le recul s’explique par la chute du prix du brut, notre premier bien exporté chez nos voisins.

Même s’il se veut un farouche partisan de l’America First, Donald Trump est favorable au parachèvement de l’oléoduc Keystone XL rejeté par Barack Obama. Voilà qui s’apparente plus au libre-échange qu’au protectionnisme.

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