Maltraitance au CHSLD de Beauceville

La direction savait depuis un an

QUÉBEC — La direction du CHSLD de Beauceville a été alertée dès février 2016 de « gestes inadéquats » commis par une préposée aux bénéficiaires envers un résidant. Mais elle n’a pas pris les moyens nécessaires pour l’empêcher de récidiver. Résultat : l’employée a fait d’autres victimes jusqu’à son départ à la retraite, au début du mois. C’est ce que révèle un rapport d’enquête de la commissaire aux plaintes du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Chaudière-Appalaches. La Presse a obtenu copie du document de quatre pages daté du 21 mars et signé par la commissaire Brigitte Landry.

« Préoccupants »

L’enquête fait suite à une plainte formulée le 6 mars dernier par les proches d’une résidante du CHLSD de Beauceville. Ils dénoncent « des abus physiques et verbaux récurrents » commis par une préposée aux bénéficiaires, résume la commissaire. « Les éléments de maltraitance et d’abus » décrits par la famille sont à ses yeux « préoccupants ». Comme La Presse le révélait la semaine dernière, l’employée aurait maltraité 11 résidants, selon ce que la direction du CHSLD a elle-même confirmé à des familles concernées.

« De multiples déclarations »

D’après le rapport, une employée du CHSLD dénonce, les 18 et 19 février derniers, « les conduites inadéquates de la préposée aux bénéficiaires ». La direction déclenche une enquête interne qui « mène rapidement à de multiples déclarations de faits semblables provenant d’autres collègues ». Ceux-ci « reconnaissent, entre autres, l’impatience et la mauvaise attitude de la préposée ». Elle est suspendue avec salaire, puis rencontrée par la direction. « Elle n’émet aucun remords », souligne la commissaire. Elle est « passible d’un congédiement » devant « la gravité et la récurrence des faits et des gestes ». Mais elle est « aussi apte à la retraite », option qu’elle choisit le 1er mars. Le même jour, la directrice du CHSLD, Manon Trudel, en poste depuis décembre, « rencontre des enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ) et complète une dénonciation policière ». La SQ mène une enquête depuis le 14 mars, signale Brigitte Landry. Rappelons que le corps policier avait refusé de le confirmer ou de l’infirmer à La Presse. Plusieurs sources avaient toutefois confié que des agents avaient rencontré des victimes potentielles.

Des signaux dès février 2016

Jusqu’ici, le rapport confirme des informations publiées par La Presse et recueillies auprès de sources anonymes. La commissaire fait toutefois une révélation embarrassante : « Selon l’analyse des faits et des renseignements obtenus, il est admis qu’un avis verbal est émis auprès de l’employée concernée en février 2016 pour des gestes inadéquats portés à l’endroit » d’un résidant. C’est donc dire que la direction du CHSLD connaissait depuis plus d’un an le comportement répréhensible de son employée. Le CISSS a omis de mentionner ce fait dans sa réaction aux reportages de La Presse. « Nos vérifications démontrent que d’autres gestes et faits inacceptables se sont reproduits et répétés depuis novembre 2016 avec une intensification au cours du mois dernier », ajoute Brigitte Landry. Plusieurs sources de La Presse avaient relevé un fort roulement de personnel à la tête du CHSLD au cours des dernières années.

Réaction insuffisante

La commissaire est formelle : un simple avis verbal était insuffisant pour éviter une récidive et protéger les résidants. « Nous sommes inquiets de constater qu’en dépit de la nature des gestes portés en février 2016 et de la mesure disciplinaire alors appliquée, il n’y a pas eu de plan d’encadrement établi auprès de l’employée visant la non-récurrence » d’actes répréhensibles. Ils se sont « malheureusement » reproduits en l’absence d’un suivi strict, déplore-t-elle. Et les délégués syndicaux dans toute cette histoire ? « Il nous est confirmé que même le syndicat, alors impliqué au dossier, s’attendait au déploiement » d’un plan d’encadrement envers l’employée, révèle la commissaire. « Notamment et dans un premier temps, nous croyons que ce moyen aurait pu assurer la mise en place d’un mécanisme de surveillance pour l’employée et, dans un deuxième temps, de protection pour la clientèle. »

« Mesures correctives » exigées

« À la lumière des faits, nous sommes d’avis que des recommandations s’imposent », conclut la commissaire. Elle rappelle que le CISSS a « l’obligation morale et légale » d’offrir des soins « de façon sécuritaire » à sa clientèle vulnérable. « Aucune tolérance n’est et ne doit être acceptée en matière d’abus, de violence, de négligence et/ou de maltraitance » envers les résidants, insiste-t-elle. Deux « mesures correctives » sont exigées : 

« S’assurer qu’une mesure d’encadrement sévère soit immédiatement mise en place pour tout le personnel œuvrant en centre d’hébergement et faisant l’objet d’une mesure disciplinaire aux fins de mauvaises conduites envers la clientèle » ;

« Développer une stratégie mettant de l’avant une culture systémique régionale de “tolérance zéro” et de dénonciation » de la maltraitance sous toutes ses formes.

Le CISSS faisait valoir la semaine dernière que tous les employés du CHLSD ont été sensibilisés à l’importance de dénoncer les mauvais traitements. La commissaire lui donne 30 jours pour mettre en œuvre les recommandations. Elle mentionne que des « mesures de contrôles additionnelles ont été mises en place au sein de l’organisation afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise ».

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