Italie

Berlusconi : l’éternel retour ?

L’Italie doit choisir son nouveau président le 24 janvier. Parmi les nombreux candidats potentiels se trouvent l’actuel premier ministre Mario Draghi, mais aussi un certain… Silvio Berlusconi. Décryptage.

Euh, pardon, on a bien lu ? Berlusconi à la présidence de la République italienne ?

Oui, tout indique qu’Il Cavaliere se portera candidat à la succession de Sergio Matarella, dont le septennat se termine officiellement le 3 février. Il ne cache pas que ça l’intéresse et tente actuellement de rallier des soutiens à droite et à l’extrême droite. Berlusconi serait l’un des prétendants les plus sérieux à ce poste, avec Mario Draghi, qui songe à quitter son poste de président du Conseil des ministres (premier ministre) un an avant terme pour briguer la présidence.

La présidence italienne, c’est un rôle symbolique, non ? Quel intérêt ?

Justement pas. C’est un poste honorifique, mais le président porte une vraie responsabilité d’union nationale et peut jouer un rôle clé en situation de crise ou d’impasse gouvernementale. C’est dans ce contexte que le président sortant s’est tourné vers Mario Draghi en février 2021 pour qu’il succède à Giuseppe Conte, qui avait perdu sa majorité au Parlement.

Bon, d’accord. Mais Berlusconi, tout de même ! Le monsieur a 85 ans. Il a été quatre fois premier ministre. Que veut-il de plus ?

Berlusconi, qui a survécu à la COVID-19 en 2020, est convaincu qu’il est l’homme de la situation. Devenir président lui permettrait de boucler sa carrière politique sur une note prestigieuse, d’autant que sa réputation a été plusieurs fois malmenée par des scandales, des condamnations (fraude fiscale) et des déclarations gênantes. De plus, il est toujours visé par deux allégations de corruption de témoins, dans l’affaire des orgies « bunga bunga », au cours desquelles il aurait payé pour les services de prostituées mineures. La présidence lui donnerait l’immunité politique pendant sept ans et serait pour lui comme une forme de réhabilitation.

« C’est un mégalomane incontestable, résume Marc Lazar, spécialiste de la politique italienne à Sciences Po. Pour lui, accéder à la présidence en fin de vie et en fin de carrière est une façon de rentrer dans l’Histoire avec un grand H. »

Sérieusement… quelles sont ses chances d’être élu, avec toutes les casseroles qu’il traîne ?

Ne jamais dire jamais ! Pour être élu à la présidence de la République, tout candidat doit réunir les deux tiers des voix d’un millier de grands électeurs, notamment les députés et les sénateurs. A priori, Berlusconi aurait l’appui du centre droit et des formations d’extrême droite comme la Ligue de Matteo Salvini et Frattelli d’Italia, de Giorgia Meloni. Mais il lui manque encore une cinquantaine de voix. Et comme le scrutin a lieu à bulletin secret, de nombreuses surprises peuvent avoir lieu, certains votants profitant de l’anonymat pour s’écarter de leur ligne de parti.

Plusieurs s’inquiètent en effet de voir Berlusconi à la tête de l’État. Étant donné la réputation du bonhomme, cela donnerait un dur coup à l’image de l’Italie, qui est plutôt bonne actuellement. Le quotidien de gauche Il Fatto quotidiano a d’ailleurs lancé une pétition pour protester contre cette manœuvre politique et elle a déjà recueilli plus de 200 000 signatures.

« Il a des chances d’être élu, mais ça paraît quand même une possibilité relativement réduite. Si, au bout du compte, les personnes qui désignent le président de la République ont un minimum de rationalité, elles ne devraient pas l’élire. Mais je suis très prudent. Ce n’est pas à exclure totalement », estime Marc Lazar.

L’élection de Mario Draghi serait donc plus probable ?

Oui, car tous les camps y voient un intérêt.

Le départ de Draghi du poste de premier ministre entraînerait vraisemblablement des élections législatives anticipées dans un paysage politique morcelé, lesquelles pourraient se solder par une victoire de la droite, voire de la droite extrême, actuellement en avance dans les sondages.

La gauche aimerait, de son côté, avoir cette personnalité crédible à la tête de l’État pour servir de garde-fou si l’extrême droite finit par prendre le pouvoir.

« [Mario Draghi], c’est quelqu’un qui peut empêcher toute dérive populiste, souverainiste d’un gouvernement composé de Mme Meloni et de M. Salvini en position de force. »

— Marc Lazar, spécialiste de la politique italienne et directeur du Centre d’histoire de Sciences Po

Toute chose a toutefois son revers. Si Draghi devient président, il ne pourra plus siéger au Conseil européen, où il pèse considérablement. Cet ancien président de la Banque centrale européenne a une réputation crédible. Grâce à lui, l’Italie a retrouvé une partie de son prestige sur la carte européenne. Il est très écouté.

D’autres noms circulent, comme celui de Marta Cartabia, ministre de la Justice, ou celui de Pier Ferdinando Casini, ancien président de la chambre basse.

Il reste enfin la possibilité que Sergio Mattarella, 80 ans, décide de rester un an ou deux de plus, un scénario parfois évoqué.

À trois semaines du vote, on n’est peut-être pas au bout de nos surprises.

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