Opinion  Jeux olympiques

Dans la tête des athlètes

Ce texte est le second d’une série écrite par l’athlète olympien Maxime Boilard, participant aux épreuves de canoë en 2000 à Sydney, qui veut faire partager sa perspective personnelle sur l’olympisme et la performance.

Les entrevues dans les minutes qui suivent une performance aux Jeux olympiques sont une fenêtre privilégiée sur le monde intérieur de l’athlète. Intense et sans filtre. Les larmes. Le souffle. Le regard. Le sourire. L’absence de regard. La sueur. On se sent un peu voyeur, mais il faut passer outre ce malaise.

Cette semaine, on a eu droit à plusieurs exemples qui nous ont permis de comprendre davantage ce qui peut se passer dans la tête d’un athlète, alors qu’une performance de quelques minutes vient clore quatre ans d’efforts. 

Pensons à Rob Gibson, cet athlète qui a perdu sa prise sur sa rame en éliminatoire dans le quatre de couple à l’aviron, alors que son équipe avait une chance de passer directement en finale. En repêchage, son équipe vient de se faire battre. Maintenant, il est seul devant la caméra, à bout de souffle. La journaliste de CBC fait son travail. Elle lui demande de revenir sur la course. Il lui répond : « On n’a pas été capable de rester avec les meilleurs ». Elle le relance : « Tu sais, l’épisode de la rame, les gens vont dire que c’est là que l’occasion d’aller en finale a été manquée ». Il lui dit : « Je prends la responsabilité pour celle-là et je sens que j’ai laissé tomber mes équipiers ».

Il arrête et on se demande s’il ne va pas s’effondrer en pleurs. Il tremble seul devant la caméra… Cette entrevue, il ne l’a certainement pas échappée. Chapeau.

Songeons ensuite à Antoine Valois-Fortier. Tel un judoka allant à son prochain combat, il est allé se placer pour son entrevue même s’il était encore sonné par l’émotion de la défaite.

On comprend en très peu de mots, entre deux sanglots, que sa défaite contre le Russe lui faisant perdre la possibilité de gagner l’or lui a fait très mal.

Il n’a pas su retourner dans sa zone, se recentrer, pour gagner son repêchage et ensuite se donner une chance pour le bronze. En regardant l’entrevue, on déduit qu’une très grande partie de lui allait à Rio pour l’or et seulement l’or. Quand l’autre partie de lui dit : « Viens-t’en Antoine, on s’en va faire un match de repêchage », il y a déjà un combat interne coûtant cher en énergie qui s’opère. Il est trop tard.

MOMENTS ÉMOUVANTS

L’équipe de rugby féminine est en mission à Rio. C’est la première fois que le rugby à sept est aux Jeux olympiques. Encore plus important, c’est l’histoire de femmes qui pratiquent un sport redoutablement robuste. Un groupe de pionnières qui portent un message pour les jeunes filles. 

Après le match pour la médaille de bronze, remportée par les Canadiennes, on demande en entrevue à Karen Paquin : « Comment tu te sens avec une médaille au cou après être déménagée à Victoria, les sacrifices ? » Le genre de question olympique typique… Elle affiche le plus large sourire et complète sa réponse avec un : « J’espère qu’il y a plein de jeunes filles qui ont regardé les matchs […] et qui vont prendre une balle ovale et dire : c’est à ça que je veux jouer. » On sent la conviction que nos jeunes filles doivent ramasser le ballon et foncer plutôt que d’attendre une invitation d’embarquer sur le terrain.

Voici ensuite la nageuse Audrey Lacroix, une vraie bouffée d’air frais, tout sourire après sa demi-finale. Une question bien placée et sa complicité avec l’intervieweuse l’amènent à nous annoncer qu’elle vient de faire sa dernière course. Les larmes de joie. Boom ! L’annonce est faite. Comme ça peut être simple d’annoncer sa retraite quand on est en paix avec son parcours et avec soi-même ! Audrey travaille son bien-être au-delà du résultat depuis longtemps. Trop d’athlètes pensent que pour être bien, il faut obtenir ses meilleurs résultats.

Ces entrevues à chaud sont le moment où l’athlète, tel un artiste, dévoile sa vulnérabilité dans le rapport qu’il entretien avec son œuvre alors qu’on a la chance d’être aux premières loges.

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