Santé mentale

Décrocher, mode d’emploi

Qu’est-ce qui fait qu’une séance de jardinage rend les passionnés aussi détendus ? Et qu’une heure de tricot a des vertus antidéprime pour d’autres ? Pour comprendre en quoi la création et le travail manuel ont un impact sur notre humeur, nous en avons discuté avec Pierre Plante, art-thérapeute, psychologue et directeur des cycles supérieurs en psychologie à l’UQAM.

Pour plusieurs, il y a un lien entre les activités manuelles, sous toutes leurs formes, et le bien-être.

Tout à fait. Quand je demande aux gens dans mes ateliers à quels moments ils sont le plus créatifs, ils répondent souvent que c’est sous la douche, dans la voiture, dans le métro… En fait, c’est là où ils ne sont pas dans une exigence d’être complètement envahis par la réalité, par les problèmes. Dans ces moments, on laisse tranquillement l’imaginaire prendre sa place. Ça arrive souvent dans des activités répétitives où l’on est sur le pilote automatique. On laisse notre esprit voguer, et on déconnecte.

Ce qui peut expliquer les bienfaits du jardinage, ou l’état presque méditatif qu’on atteint parfois quand on peint quelque chose ?

Quand je fais « pause » et que je m’installe dans un travail de répétition, comme travailler la terre, sabler du bois, faire du tricot… il y a un envahissement de la pensée, mais dans le sens positif. Notre esprit peut voguer. C’est ce qui fait que les gens me disent que les bonnes idées viennent dans ce temps-là. […] Dans ces moments où on laisse l’imaginaire travailler, on laisse mijoter tout ce qu’on a accumulé comme informations. Il faut des moments comme ceux-ci pour que cet imaginaire puisse prendre sa place.

C’est donc surtout dans des moments de pause, ou dans des activités créatives, que l’imaginaire se manifeste ?

Quand on travaille, on doit maintenir un bon niveau de concentration. C’est ce qu’on exige d’un médecin, par exemple : on ne veut pas qu’il se laisse tout le temps guider par son imagination ! Mais pour maintenir son propre équilibre, et ne pas tomber en épuisement, il faut avoir des moments où l’on se permet de déconnecter. Le problème, c’est qu’il y a des gens qui ne se permettent jamais de pauses.

Mais un menuisier ne va pas déconnecter en faisant un meuble, même si le travail manuel permet à l’esprit de vagabonder…

Dans la vie de tous les jours, il faut savoir déposer les outils et être dans une dynamique plus contemplative. Il faut trouver une autre activité qui nous fait du bien, mais qui ne nous mène pas dans la compétition. Une activité qui permet à la tête de déconnecter… Vivre autre chose.

Ça semble simple en apparence, et pourtant, les personnes à qui nous avons parlé voient le travail manuel comme une révélation.

On est dans une culture où très rapidement, à l’école, on nous apprend à éviter les échecs. On est dans un mode compétitif, où les échecs sont à éviter à tout prix. Ce qu’on dit à ces gens, c’est de se retirer du registre des succès et des échecs. Il faut en venir là : « Moi, je n’ai jamais cuisiné de ma vie, mais je vais essayer de suivre une recette, et si je n’ai pas tout ce qu’il faut, je vais essayer d’être créatif. » Il faut prendre plaisir à ça, et ne pas toujours être dans un mode où l’on se dit que tant qu’à ne pas réussir ses dessins comme Michel-Ange, on est mieux de ne pas en faire du tout. On a longtemps, trop longtemps, favorisé les enfants qui répondaient le plus vite possible et le mieux possible aux questions à l’école. Les enfants créatifs, eux, ont tendance à générer trois, quatre, cinq réponses à un problème parce qu’ils ont déjà cette pensée divergente. C’est malheureux, parce que notre société peut profiter de ces idées créatives.

Qu’est-ce qui fait qu’il est difficile de se lancer ? D’essayer ?

Ça dépend de la communauté autour de nous. Un individu au travail qui ne se sent pas intégré à une équipe va avoir beaucoup de mal à faire passer ses idées. C’est la même chose au niveau de la famille. Si je dis à ma conjointe que je veux refaire le deck cet été, et que ma conjointe me dit : « Mais tu n’as jamais tenu un marteau dans tes mains, qu’est-ce que ça va avoir l’air ? », elle me met une pression déjà en partant. Je vais peut-être abandonner avant d’avoir commencé. La pression sociale et la communauté d’appartenance vont jouer beaucoup sur la capacité d’une personne à essayer des choses, à se risquer. […]

Je vois des gens en psychothérapie qui n’ont jamais été soutenus, qui ont été cassés très vite dans leur imaginaire, qui ne sont pas capables de se dire : « Ben moi, je serais capable de cuisiner tel repas ! » Ils ne prennent aucun risque. Ils n’ont aucun sentiment d’être capables de faire de petites tâches au jour le jour. Ces petites décisions – faire la cuisine, refaire le deck – qui ne changent pas la face du monde, mais qui, au quotidien, apportent une satisfaction.

Est-ce que ça peut prémunir, ou aider, en santé mentale, d’avoir cette capacité de se lancer dans des projets manuels ?

Les gens qui viennent en thérapie, souvent en dépression, ils ont l’impression de manquer leur vie. Ils se disent : « Je vais au travail 40 heures par semaine, et je me sens obligé de le faire… Ça ne fait pas de sens pour moi. » Si ces gens-là n’ont pas d’autres facettes de leur vie où ils s’investissent dans des activités qui les nourrissent, ce sont des gens qui vont facilement se retrouver dans des situations de déséquilibre sur le plan de la santé mentale. Ça, c’est certain.

Si je veux faire de la menuiserie, si je veux travailler le bois, je dois m’enlever cette pression de la réussite. J’expérimente ! Je peux alors profiter de ce cycle : l’idée m’est venue, j’ai mis des choses en place, j’ai le sentiment de compétence, et peut-être qu’à la fin, je vais être fier de mon idée ! Si je réussis ça, je vais être plus motivé. Je vais peut-être avoir envie de m’investir dans un autre projet.

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