Témoignage

Prendre sa mort en main

Cet été, je suis allée visiter ma douce amie Manon qui, au fil des ans, a vu son état se détériorer rapidement.

Manon est atteinte de sclérose en plaques, triste diagnostic qui est tombé en 2004 alors qu’elle sentait une perte de sensation dans ses membres inférieurs depuis près de deux ans.

Actuellement, il ne lui reste que l’usage partiel de son bras droit, sa main arrivant à peine à lui gratter le bout du nez. Cela signifie qu’elle doit dépendre d’un autre être humain pour tous ses besoins, et ce, sans exception.

Ce jour-là, Manon m’a reparlé de son désir de mettre fin à ses jours, mais ses plans avaient changé depuis la première fois où elle avait abordé le sujet avec moi. Elle ne désirait plus aller en Suisse pour avoir droit au suicide assisté ; elle voulait mourir ici, au Québec, entourée des siens.

D’une sérénité désarmante, elle m’a raconté son « plan » et je dois avouer que, bien que bouleversée et confuse, je me suis mise à essayer de trouver des solutions avec elle.

En fait, Manon arrive si bien à expliquer pourquoi elle désire, plus que tout, quitter ce monde qu’il est impossible de trouver des arguments pour la convaincre du contraire. Du coup, nous comprenons sa motivation.

Cette femme de 54 ans n’est pas déprimée, pas révoltée, pas en colère. Elle est tout simplement réaliste quant à la faible probabilité d’avoir une belle qualité de vie si le sang continue de couler dans ses veines.

Comme elle dit, avant, elle s’intéressait aux actualités, à la politique et elle dévorait livre après livre… Mais tout cela ne la motive plus. Ses derniers passe-temps se résument à regarder des séries télé en rafales, ce qui, avouons-le, finit par devenir abrutissant à la longue.

La grande faucheuse est en route

Manon a décidé d’arrêter de s’alimenter le 25 septembre dernier. Étrangement, tout se passe incroyablement bien.

En fait, elle a très peu maigri (probablement parce qu’elle bouge si peu) et son niveau d’énergie est exceptionnellement haut. Du coup, je me suis mise à douter du fait que mon amie allait bientôt mourir. Mais elle m’a vite ramenée à la réalité en me disant qu’elle arrêterait de s’hydrater le 1er novembre. 

Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes le 1er novembre.

Selon elle, on peut compter entre 3 et 5 jours avant qu’elle ne soit plus parmi nous. Elle s’est informée et connaît chaque détail de ce qui va lui arriver.

Personnellement, je n’y crois pas. Comment cela est-il possible ? Je lui parlais encore hier et elle avait cette belle étincelle de vie dans les yeux.

Un exemple de sérénité 

Manon m’impressionne. Elle avoue avoir elle-même parlé avec le responsable des pompes funèbres qui, disons-le, était un peu mal à l’aise de répondre à des questions du genre « Comment allez-vous venir récupérer le corps ? ».

La date de la cérémonie est même déjà fixée : le 18. Ouf ! Et le pire, c’est que j’ai contribué à enregistrer une petite vidéo qui sera probablement présentée aux parents et amis ce jour-là.

Je dois avouer que je ne sais plus trop ce qui se passe dans ma tête et dans mon cœur lorsque je pense à tout ceci. Pour moi, il s’agit d’une première, alors je perds tous mes repères et je ne trouve pas de mots pour exprimer l’émotion qui m’habite.

Lorsque la tristesse veut remonter à la surface, je repasse dans ma tête des bouts de conversation avec cette femme forte et courageuse qu’est mon amie Manon. Je la revois expliquer pourquoi et comment elle retrouvera sa liberté et je me sens rassurée pendant quelques minutes. Jusqu’à ce que je replonge dans la tristesse à l’idée de laisser partir cette personne merveilleuse…

L’aide à mourir

Manon aurait aimé ne pas avoir à organiser elle-même sa propre mort. Elle aurait voulu que l’aide à mourir lui soit fournie, mais la loi à ce sujet n’a pas encore été adoptée dans notre beau pays.

Ç’aurait été plus simple, plus facile, moins atroce que de devoir arrêter de s’alimenter et de s’hydrater pour arriver à ses fins.

Mon amie souhaite qu’on reconnaisse le fait que la souffrance physique va bien au-delà de la douleur que l’on peut ressentir dans son corps. C’est aussi d’être confiné à jamais dans un fauteuil ou dans un lit, à regarder les murs et le plafond.

Oui, la vie peut être belle, mais elle ne l’est plus le jour où on n’en devient que le spectateur, sans possibilité de participer activement à son propre scénario.

Tout mon amour et toute mon admiration à Manon Gardner, qui a le courage de prendre sa mort en main parce que la vie, pour elle, n’a plus de sens.

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