L’avis du nutritionniste

Bon gras, bad gras

Au début du mois, Santé Canada a enfin pris le taureau par les cornes en publiant une proposition de règlement pour éliminer les huiles partiellement hydrogénées de notre environnement alimentaire. Comme il s’agit de la principale source de gras trans industriels de notre alimentation, disons qu’il était plus que temps. En 2007 déjà, le gouvernement avait demandé à l’industrie de se débarrasser de ces gras nocifs pour la santé du cœur. Puisqu’aucune réglementation n’a été mise en place et que l’on comptait sur les entreprises pour gérer le dossier elles-mêmes, les cibles n’ont pas été atteintes.

Encore aujourd’hui, les Canadiens consomment trop de gras trans. Comme les maladies cardiovasculaires représentent une des principales causes de mortalité au pays, il serait irresponsable de ne pas serrer la vis à ceux qui continuent de distribuer ces molécules d’un océan à l’autre.

Tout ça, vous pouvez le lire dans l’article publié dans Pause Repas jeudi dernier. Il y était souligné que ce n’est pas parce qu’un aliment se dit « sans gras trans » qu’il devient soudainement bon pour la santé. Je profite de cette tribune pour m’étendre sur ce fait et vous expliquer en quoi le fait de parler des « bons » et des « mauvais » gras peut être incomplet et parfois mener à de fausses préoccupations chez les consommateurs.

Vous savez probablement qu’on classe les gras par familles. Gras trans, saturés, monoinsaturés, polyinsaturés… Tous ces termes réfèrent à ces groupes de gras classés selon leur structure chimique. On étudie l’impact de ceux-ci sur la santé, notamment celle du cœur, depuis plusieurs décennies maintenant. On considère généralement les gras trans et saturés comme étant les « mauvais », alors que les gras insaturés (poly et mono) sont les « bons ».

Malgré tout, j’ai toujours un malaise quand on me demande quels sont les « bons » et les « mauvais  » gras.

Comme dans chaque famille, il y a des membres qui, même s’ils ont des apparences similaires, ne sont pas tout à fait identiques. Dans le cas des gras, tous n’ont pas le même impact sur la santé, même s’ils sont classés ensemble et possèdent des structures similaires. Par exemple, dans les dernières années, on a commencé à mieux comprendre que tous les gras saturés n’étaient pas aussi néfastes pour le cœur et qu’ils ne méritaient pas tous d’être considérés comme de « mauvais  » gras.

L’autre point important est qu’on ne mange évidemment pas des gras purs, seuls. On les consomme en combinaison avec des gras appartenant aux différentes familles, mais aussi avec des centaines ou des milliers d’autres molécules qui, elles aussi, joueront différents rôles dans le corps. Pensons à l’huile d’olive, qui ne contient pas seulement des gras monoinsaturés, même si on ne parle toujours que d’eux lorsqu’on explique les bienfaits de cette huile. Cette dernière renferme aussi des gras saturés et des gras polyinsaturés, en petite quantité. Et ça, c’est pour une seule matière grasse, mais elles sont toutes constituées d’un mélange.

Quand on veut faire la distinction entre les « bons » et les « mauvais » gras, je pense que c’est également très important de regarder son alimentation dans son ensemble. Comme pour n’importe quel sujet en nutrition, il vaut souvent mieux essayer de regarder plus large pour pouvoir tirer une conclusion plus juste.

Bien sûr, il y a un monde de différences entre cuisiner à la maison avec une matière grasse potentiellement bénéfique et consommer ce même gras sous une forme transformée industriellement. Les croustilles à l’huile d’olive ne sont pas meilleures pour le cœur que les « ordinaires », même si elles contiennent un « bon » gras.

D’ailleurs, le cas des gras trans est particulièrement parlant pour moi, parce qu’il montre à quel point il est simple de se tromper quand on ne se fie, comme consommateur, qu’aux types de gras pour savoir si un aliment est bénéfique ou pas.

Après tout, à la base, les gras trans proviennent d’huiles végétales contenant des gras polyinsaturés, généralement considérés comme à privilégier. Leur effet devient toutefois bien différent après qu’ils ont été transformés par l’hydrogénation. Et non seulement ces gras sont néfastes seuls, et en petite quantité, mais en plus, la principale source de ces molécules dans notre alimentation est les aliments ultra-transformés comme le shortening, les pâtisseries et les produits de boulangerie. Si vous retirez les gras trans de ces produits, deviennent-ils soudainement bénéfiques  ? Non.

Bref, vous comprendrez que les journalistes qui me demandent quels sont les « bons » et les « mauvais » gras ne s’attendent généralement pas à ce que je me lance dans une aussi longue explication. Avec le temps, il est devenu impossible pour moi de parler des gras et de leur effet sur la santé sans penser au contexte dans lequel on les mange.

Si on se souciait davantage de réintroduire la cuisine à la maison, on aurait moins à se préoccuper de déterminer quels sont les « bons » et les « mauvais » gras. Dans le fond, si vous avez votre santé à cœur, cuisinez la plupart de vos repas en ajoutant avec parcimonie une diversité de gras comme du beurre, de l’huile d’olive, de lin, de canola, de tournesol, de coco, de caméline, de sésame ou d’avocat (j’en oublie certainement). Et laissez plutôt dans les rayons les gras ultra-transformés et les aliments qui les contiennent.

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