Horaire surchargé, parents exténués
Martine Therrien occupait un gros emploi bien rémunéré au centre-ville. Elle habitait en banlieue, elle avait un conjoint, qui avait deux enfants. Ensemble, ils ont eu un bébé. Essoufflée, elle l’était.
« Il y a un an, le journal Les Affaires a lancé un concours invitant les gens à faire une étude de marché en accéléré. Une amie et moi avons pris une semaine de congé pour participer au concours. Ce qui était au départ un projet est carrément devenu une entreprise. »
L’entreprise s’appelle 2eSHIFT. Sa vision : simplifier la vie des familles en mettant en relation des gens qui ont besoin d’un revenu d’appoint avec d’autres qui, eux, manquent de temps.
« En une semaine, nous avions 1600 inscriptions ! Ce que nos clients nous demandent le plus, c’est qu’on leur trouve quelqu’un qui puisse s’occuper des enfants entre 16 h et 18 h, que ce soit pour gérer les devoirs, commencer le souper ou préparer les enfants pour le match de soccer. »
Les besoins sont énormes. Martine Therrien l’a elle-même vécu dans sa première vie, elle le voit bien avec son entreprise qui ne les fait pas encore vivre sur l’or, sa partenaire d’affaires et elle, mais qui lui offre ce dont elle a cruellement manqué jusqu’à l’année dernière : de la flexibilité.
« On dit souvent qu’un horaire flexible facilite la conciliation travail-famille. C’est vrai, mais ça a ses limites. »
— Martine Therrien, cofondatrice de 2eSHIFT
« Moi, je l’avais, l’horaire flexible, mais même quand tu t’entends là-dessus avec ton patron et que c’est consigné dans un contrat, tu finis quand même par partir à 16 h par la porte d’en arrière, embarrassée, note-t-elle. Et quand tu travailles comme professionnelle, l’obligation de résultat est la même. Dans ces conditions, la pression n’est pas vraiment réduite… »
Jocelyne Bisaillon, qui est psychologue, voit défiler dans son cabinet quantité de couples à la vie très remplie qui, officiellement, viennent la consulter pour des problèmes de communication. « Il y a certes souvent des chocs de valeurs, des conflits de personnalités, des blessures mal pansées, mais quand tu grattes un peu, tu constates très rapidement qu’une grande partie du problème vient de ce que les couples n’ont plus du tout de temps pour se retrouver. »
Mme Bisaillon n’a pas de mal à le constater. « Quand deux personnes choisissent de faire une thérapie de couple, notre code de déontologie de psychologue nous dit que le couple doit venir consulter ensemble. Le problème, c’est que souvent les deux personnes n’arrivent pas à se libérer ! Ou alors ils arrivent en retard à leur rendez-vous, tout essoufflés, après avoir été pris dans un bouchon. Avant qu’on commence à parler, je leur offre donc un verre d’eau ou un café et je leur propose de prendre deux minutes pour reprendre leur souffle. »
« Les recherches ont très bien établi ce qui peut faciliter la vie des parents qui travaillent – l’horaire de quatre jours et le télétravail, notamment –, mais le problème, c’est que les entreprises y adhèrent très peu et, même, s’en éloignent. Avec les suppressions d’emplois, il y a plus une intensification du travail qu’autre chose », fait remarquer Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à TELUQ et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux socio-organisationnels de l’économie du savoir.
Même dans les entreprises qui mettent en place des mesures facilitantes, les employés préfèrent souvent ne pas y recourir.
« Il y a parfois ouverture de la part des ressources humaines, mais ça ne passe souvent pas la rampe avec les cadres intermédiaires. »
— La professeure Diane-Gabrielle Tremblay
« Les employés eux-mêmes préfèrent souvent ne pas s’en prévaloir, de peur de passer pour des parents trop investis dans leur vie familiale, poursuit la chercheuse. Ils redoutent souvent qu’on ne leur confie plus que des dossiers de moindre importance. »
Selon Mme Tremblay, l’État devrait fournir sa part d’efforts, faire des campagnes de sensibilisation, mais encore là, on est loin du compte. « On ne peut pas dire que les coupes ont facilité la vie des infirmières, par exemple. »
Au-delà de tout ça, une réflexion de société s’impose, conclut Mme Tremblay. « Les hôpitaux, les postes de police doivent être ouverts 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, mais est-il vraiment nécessaire que les supermarchés, les restaurants et le commerce de détail en général – où travaillent beaucoup de femmes – offrent des heures d’ouverture aussi longues ? »