Chronique

Tasse-toi, monon’c !

Je n’ai jamais pu me résoudre à prendre une douche au bureau. Jamais.

Il y en a bien une à La Presse. En tout cas, c’est ce que je déduis de la serviette que mon patron porte parfois au cou lorsqu’il se promène les cheveux mouillés. Mais je n’ai jamais pris la peine de la visiter moi-même. Trop de temps, trop de trouble.

Si bien que les jours de grande chaleur, je ne l’écris pas sur Twitter, mais je remise parfois mon vélo pour lui préférer mon scooter. Pas génial pour un chroniqueur « écolo », mais c’est une des contradictions que j’assume pour éviter d’arriver au boulot la chemise fripée. Faut ce qu’il faut.

Comment vous dites ? Je suis bien trop coquet ? Certainement ! Et plus que ça, même, car j’ai jusqu’ici résisté à la solution qu’on m’a souvent suggérée… par coquetterie justement, et un peu par snobisme, aussi.

Cette solution, elle a un nom officiel : le vélo électrique. Un nom plus politically correct que celui que je lui donne : le vélo de mononc’. Mes excuses à mon mononc’.

Mais bon, j’ai beau être coquet, je suis aussi courageux. Et pour le droit du public à l’information, j’ai accepté de ranger mes préjugés et d’essayer cette étrange monture à batterie pendant deux semaines.

Heureusement, le propriétaire de la boutique Vélo Branché par Quilicot, Marc-André Lebeau, m’a bien « saisi ». Il ne m’a pas prêté un eVox ni un E-Griffin, des vélos conçus par Procycle et DeVinci aux allures de BIXI électrique (le look char d’assaut, c’est bon pour les vélos en libre-service). Il m’a plutôt fait rouler en Specialized tout ce qu’il y a de plus normal, sur lequel avait été greffé un moteur-roue BionX.

L’ego était… presque sauf.

Le vélo était bien beau, oui, mais ça ne m’a pas empêché d’imaginer le regard moqueur des autres cyclistes quand j’ai quitté la boutique, surtout à l’arrêt à l’intersection. La batterie et le moteur intégré à la roue arrière ne dépareillent pas la monture, mais ils sont quand même là. Humilité pour celui qui s’est toujours targué d’être un « vrai de vrai »…

Puis boum !

Le feu a tourné au vert, et je suis parti comme Superman sur deux roues. J’étais le premier étonné.

J’avais sélectionné l’assistance la plus musclée, soit 300 % de la force que j’y mettais, ce qui m’a permis un décollage d’enfer qui m’a fait dépasser tous les propriétaires d’Argon18 en carbone… avec un effort minime.

Même sentiment de « supériorité » en empruntant le pont Jacques-Cartier : je dépassais tous les cyclistes en lycra dans les côtes… sans même pédaler ! Car en plus de l’assistance, le BionX offre un mode « mobylette » qui permet au vélo d’avancer tout seul, au simple contact d’un bouton.

Ce n’est qu’une aide d’urgence, cela dit, car le moteur étant bridé à 30 km/h, il ne cesse de donner des coups quand on avance sans utiliser les pédales.

Mais pour ce qui est de l’assistance électrique, bien franchement, on y prend vite goût. C’est même plutôt addictif. J’ai éteint le moteur pour voir, et soudainement, j’avais l’impression de fournir un effort démesuré… pour avancer sur le plat.

Mais pour qui accepte le risque de l’accoutumance, le gain saute aux yeux : une navette quotidienne sans pollution, sans trafic, sans relief, car le vélo électrique aplanit la côte Berri par magie. Une navette agréable, donc, sans effort, sans transpiration… sans besoin de se doucher.

J’ai franchi plusieurs fois la distance entre la Rive-Sud et le Vieux-Montréal, en veston, chemise blanche et souliers vernis, comme je l’aurais fait en auto. Et pas un pli. Sauf aux cheveux, car le casque est obligatoire en vélo électrique.

La question qui tue : vais-je m’en acheter un ? Non. Car je me sers de ma bicyclette pour bien plus que ma navette quotidienne, pour faire des courses, des sorties le week-end, des balades avec fiston. Et à ce prix-là (les vélos se détaillent entre 2000 et 12 000 $ tout inclus, le dispositif seul étant entre 1800 $ et 2600 $), cette monture est beaucoup trop voyante et dispendieuse pour que je la verrouille sur mon chemin.

Mais pour ceux qui franchissent une bonne distance pour se rendre au bureau, pour ceux qui font l’aller-retour quotidiennement et cherchent un moyen de transport actif mais pas trop, l’investissement en vaut certainement la peine.

Cela dit, puis-je le garder encore quelques semaines ?

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