ÇA NE SERA PAS UN CADEAU

« C’est comme une tradition. » Chaque début d'année, les hôpitaux débordent au Québec. L'augmentation du nombre de cas de COVID-19, jumelée à la période des Fêtes, fait craindre un mois de janvier catastrophique dans le réseau de la santé. Faut-il quand même célébrer Noël ? Experts et travailleurs sont ambivalents.

« On joue à la roulette russe »

Des travailleurs de la santé redoutent l'après-Fêtes

Alors que le nombre de nouveaux cas de COVID-19 continue à augmenter au Québec, la période des Fêtes suscite de plus en plus de craintes. Dans le milieu de la santé, on craint que le début de janvier, période déjà très occupée dans les hôpitaux, ne soit carrément catastrophique cette année.

« Chaque début d’année, les hôpitaux débordent au Québec. C’est comme une tradition. Et cette année, ça va être pire », affirme le président de l’Association des spécialistes en médecine interne du Québec, le DHoang Duong.

« On pense que ça ne se passera pas très bien, Noël… La pression vient du fait qu’on perd de plus en plus de personnel parce que la transmission communautaire s’attaque au personnel soignant », explique le DGilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec.

Selon des données du ministère de la Santé obtenues par La Presse, le taux d’occupation dans les urgences augmente année après année entre décembre et janvier dans les hôpitaux du Québec. Par exemple, le taux d’occupation moyen dans l’ensemble des urgences de la province est passé de 113 % à 123 % au tournant de l’année dernière.

Chaque année durant les congés des Fêtes, les hôpitaux diminuent leurs activités. « En temps normal, il y a plus de cas de grippe. Il y a aussi que les gens tardent à consulter dans le temps des Fêtes. Donc, tout se concentre au début de janvier », explique le DDuong.

Pour lui, même avec potentiellement moins de cas de grippe cette année, la situation risque d’être problématique en janvier parce que « la capacité à absorber cet achalandage est moins là ».

Président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Jeff Begley croit que dans le meilleur des cas, la situation dans les hôpitaux après Noël sera difficile « comme à l’habitude ». « Mais les gens qui seront là pour soigner seront beaucoup plus fatigués que d’habitude. »

M. Begley reconnaît que la décision de fêter Noël est déchirante. Car de nombreuses personnes, dont beaucoup de travailleurs de la santé, ont besoin de cette échappatoire.

« Il y a beaucoup d’ambivalence. On a besoin de cette pause. Mais on sait qu’on en payera le prix. »

— Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux

Président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le DLouis Godin affirme que les « possibilités que janvier soit très occupé sont importantes ». « Les opinions sur le fait de fêter Noël ou non sont partagées. Mais chose certaine, les médecins sont fatigués », dit-il.

Nouvelle présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec, la Dre Judy Morris mentionne que la situation est déjà précaire dans les hôpitaux. « Le personnel est de plus en plus malade. Il y a des activités de coupées parce qu’on manque de personnel. […] En janvier et février, l’achalandage aux urgences augmente en temps normal. Mais avec la COVID, on a beaucoup de questions. Et on rajoute les gens qui pourront se voir à Noël. Il y aura un peu de contamination. Le gouvernement a fait son possible. Mais ça risque de se répercuter en janvier. »

Psychoéducateur à Montréal, Maxime Caron a deux enfants d’âge scolaire et une conjointe qui travaille elle aussi dans le réseau de la santé. Pour eux, comme pour tout travailleur essentiel, impossible de respecter la période d’isolement de sept jours et donc de fêter Noël.

Même s’il se considère comme « privilégié » parce qu’il est capable d’adapter son horaire, M. Caron redoute particulièrement les conséquences de la période de Noël sur les fermetures de classes et d’écoles. « On ne peut pas faire du télétravail. On ne peut pas être présents pour faire l’école à distance avec nos enfants », dit-il.

Pour M. Caron, « on joue à la roulette russe » actuellement et on risque d’obliger les travailleurs de la santé à prendre congé pour s’occuper de leurs enfants ou les confier à des services de garde d’urgence où les bulles « ne sont souvent pas respectées ». Dernière solution pour les travailleurs de la santé en cas de fermeture de classe : laisser leurs enfants, parfois trop jeunes, seuls à la maison. « On dirait que nous, les travailleurs de la santé, et nos enfants, on n’est pas considérés. Ça prendrait une solution pour nous », dit-il.

Un réseau fragile

Le DBoucher souligne que les hôpitaux de la grande région de Montréal disposent déjà de 20 % moins de lits d’hôpitaux que d’habitude par manque de personnel. Des lits en chambres multiples ont aussi été fermés. Même si l’affluence aux urgences a baissé et est à environ 60 % de son taux habituel, les hôpitaux « débordent déjà ».

« À ce temps-ci de l’année, on tourne habituellement autour de 120 % d’occupation aux urgences. Ces jours-ci, on est à 150 %, 160 %, 175 %. C’est très préoccupant. On craint de se retrouver avec un pic dans quelques semaines », note Nathalie Lévesque, vice-présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ).

Aux prises avec des éclosions de COVID-19, des étages complets de certains hôpitaux sont déjà contraints de fermer. En CHSLD, la pénurie de personnel perdure. Si bien que les transferts de patients se font au compte-gouttes, augmentant la pression sur les hôpitaux, explique le DBoucher.

La situation inquiète les médecins des urgences. Notamment parce qu’avec la COVID-19, « soigner des patients dans le corridor, ce ne sera pas possible cette année », constate le DBoucher.

« On est le 30 novembre, et on voit les cas augmenter. On est résignés au fait qu’en janvier, on va s’occuper des cas plus malades, tandis que les moins malades devront attendre. »

— Le DGilbert Boucher, président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec

Mme Lévesque s’inquiète aussi du fait que les infirmières de Montréal et de Laval ont été invitées à aller prêter main-forte dans quatre régions plus touchées par la COVID-19 (Québec, Chaudière-Appalaches, Saguenay–Lac-Saint-Jean et Lanaudière). « C’est un peu comme déshabiller Pierre pour habiller Paul… », dit-elle.

Choix déchirant

Professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Roxane Borgès Da Silva estime que la proposition du gouvernement de s’isoler sept jours avant Noël pour avoir le droit de fêter à deux occasions est « la meilleure solution dans la pire des situations ». Elle souligne que la période moyenne d’incubation du virus est de sept jours et donc que la période d’isolement préventif est « une bonne chose pour avoir les réunions de famille les moins dangereuses possible ».

Mme Da Silva rappelle qu’au-delà de la COVID-19, la santé mentale de la population doit aussi être considérée. Mais elle ne cache pas sa crainte.

« On voit que l’adhésion aux recommandations du gouvernement diminue depuis octobre […] Si on ne respecte pas les consignes, ça pourrait être difficile. »

— Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Microbiologiste au CUSM, le DDon Sheppard croit quant à lui que la proposition du gouvernement pour les Fêtes « ne respecte pas la science ». Il explique par exemple que les élèves qui seront asymptomatiques risquent de contaminer un membre de leur bulle familiale durant la période d’isolement. « Et après, les personnes qui auront reçu ce “cadeau” vont donner le virus durant la période des Fêtes […] Si on ajoute une troisième vague à travers la deuxième qu’on a déjà, ce sera la débâcle. Je ne comprends pas comment le gouvernement peut ignorer ces données », dit-il. Pour le DSheppard, le vaccin arrivera prochainement et il faut tenir bon.

« Les travailleurs ont besoin d’un peu de réconfort. Et l’anxiété de la population augmente, on le voit aux urgences, dit le DBoucher […] Mais en même temps, on voit ailleurs dans le monde comment on peut perdre le contrôle rapidement… On va se ranger derrière la position de la Santé publique. »

Pour le DDuong, la situation est si inquiétante que, même si c’est permis, il ne fêtera pas Noël. « Je ne serai pas le seul à faire ça dans le réseau », dit-il.

« Il faut se ressaisir tout de suite »

Depuis une semaine, la COVID-19 gagne du terrain au Québec

Plus de morts, plus de personnes hospitalisées, plus de cas. La COVID-19 gagne du terrain au Québec depuis une semaine, établissant même un nouveau record dans le nombre de cas découverts.

Après une légère baisse, le nombre de cas a atteint un nouveau sommet, avec 9165 cas rapportés depuis sept jours. On recense ainsi en moyenne un peu plus de 1300 cas par jour. C’est nettement plus que le seuil de 1000 sous lequel le directeur de santé publique, Horacio Arruda, souhaitait voir le Québec d’ici aux Fêtes.

« C’est sûr qu’à 1300, je ne suis pas confortable, a indiqué Marie-France Raynault, cheffe du département de médecine préventive et santé publique du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Déjà, à 1000, je trouvais ça limite… C’est beaucoup de potentiel de multiplication de l’épidémie. »

Les cas de COVID-19 ont augmenté dans plusieurs régions, notamment le Grand Montréal. On y a recensé pas moins de 5306 cas depuis une semaine, contre 4430 la précédente. La hausse est particulièrement importante dans l’île.

2411

Nombre de cas rapportés à Montréal depuis une semaine, contre 1877 la semaine précédente

La région de Québec n’échappe pas à la tendance à la hausse. La Capitale-Nationale a enregistré 979 cas depuis une semaine, contre 687 la semaine dernière, une hausse de 43 %.

Est-ce de mauvais augure pour les rassemblements à Noël ? « On peut encore se ressaisir, mais il faut se ressaisir tout de suite », a lancé Mme Raynault. D’après elle, il n’y a pas vraiment de mesures sanitaires qui pourraient être ajoutées en zone rouge pour aplatir la courbe. Mais elle est d’avis qu’il faudrait s’assurer que les règles déjà en place soient respectées, surtout dans les milieux de travail.

Marie-France Raynault a cité un récent sondage de l’Institut national de santé publique du Québec qui relate que moins de la moitié des répondants disaient respecter la distanciation physique, entre autres avec leurs collègues. Elle croit donc que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) devrait « inspecter beaucoup plus » dans les milieux de travail.

Saguenay et résidences

Théâtre d’une importante flambée, le Saguenay–Lac-Saint-Jean a vu le nombre de cas diminuer, mais demeure de loin la région la plus touchée en fonction de sa population. On y a recensé 946 cas, contre 1164 la semaine précédente. Cela représente 49 cas par 100 000 habitants, soit près de trois fois la moyenne provinciale.

D’après le DDavid Lussier, gériatre à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, un taux d’infection « très élevé » dans la population se traduit tôt ou tard par des éclosions dans les résidences de personnes âgées, comme c’est le cas dans cette région. « Quand on regarde la liste des résidences privées, on voit que c’est surtout au Saguenay–Lac-Saint-Jean qu’il y a beaucoup de cas, et ce, parce que ce sont des gens qui sont actifs dans la communauté. »

D’ailleurs, une analyse de l’âge des nouveaux cas confirmés permet de constater une forte hausse chez les aînés. Les cas ont augmenté du tiers chez les 80 ans et plus.

Les cas sont aussi en hausse chez les 20 à 49 ans.

Décès et hospitalisations en hausse

« La transmission est vraiment dans la communauté actuellement, a expliqué le DLussier à propos des nouveaux cas dans toute la province. Au printemps, c’était presque exclusivement des travailleurs de la santé et des résidants de CHSLD qui étaient atteints. La grande majorité du monde ne connaissait personne qui avait été infecté. Alors que maintenant, on en connaît tous. »

Le nombre de personnes hospitalisées a augmenté tout au long de la semaine pour s’établir à 693, dont 94 aux soins intensifs. C’est 9 % de plus que lundi de la semaine dernière, alors qu’on en dénombrait 634.

Marie-France Raynault a confié que la situation la préoccupait beaucoup, surtout à cause du nombre d’hospitalisations.

« Dans le début de la deuxième vague, c’était plus des jeunes. Mais les gens ne vivent pas en vase clos, alors on savait que tôt ou tard, ça se diffuserait vers d’autres couches de la population. Et que ça entrerait dans les résidences pour personnes âgées et les CHSLD. »

« Avec les hospitalisations qui augmentent tranquillement, la situation est de plus en plus fragile. Notre marge de manœuvre est très petite actuellement. »

— Marie-France Raynault, du CHUM

Le Québec a enregistré 214 morts depuis une semaine, soit 31 par jour. La semaine précédente, on avait recensé 191 morts, soit 27 par jour.

Avec 31 morts depuis sept jours, le Saguenay–Lac-Saint-Jean a enregistré plus de décès en une semaine que durant toute sa première vague, soit 26.

C’est toutefois en Montérégie que l’on a enregistré le plus de décès cette semaine, soit 37. La région déplore le plus de morts depuis le début de la deuxième vague, soit 258.

Le nombre de tests a légèrement diminué la semaine dernière, pour s’établir à 27 200 par jour en moyenne. Cette baisse, conjuguée à la hausse des cas, a fait augmenter le taux de positivité. Ainsi 4,7 % des tests se sont avérés positifs, soit tout près du seuil de 5 % fixé par l’Organisation mondiale de la santé pour maîtriser la propagation de la pandémie.

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