Rescapées après cinq mois en mer 

Un récit qui prend l’eau

Elles prétendent avoir été prises au milieu d’une tempête dans le Pacifique, avoir lancé en vain des appels d’urgence et s’être fait attaquer par des requins-tigres. Mais le récit de leurs aventures a fait sourciller des experts ces derniers jours. Explications.

Le mauvais temps

Leur version : Jennifer Appel et Tasha Fuiava, rescapées par la marine américaine le 25 octobre dernier, ont raconté être parties d’Hawaii le 3 mai pour se rendre à Tahiti à bord de leur voilier de 15 m – un périple qui devait durer environ 18 jours. Elles ont dit avoir été victimes d’une violente tempête le soir de leur départ, avec des vagues de 10 m et des vents ayant la puissance d’un ouragan. « Nous avons frappé une tempête de force 11, et ça a duré deux nuits et trois jours », a déclaré mardi Mme Appel.

La vérification : Les données météorologiques et images satellitaires démontrent que le mauvais temps ne sévissait nulle part dans la région à ce moment. Le seul cyclone tropical se trouvait près de Fidji, à des milliers de kilomètres à l’ouest d’Hawaii. Des tempêtes localisées peuvent se former, mais une tempête sévissant pendant trois jours aurait été captée par les satellites et des avertissements auraient été lancés.

Retour impossible vers Hawaii

Leur version : Les femmes prétendent avoir affronté trois jours de vagues de 10 m et de vents de 100 km/h parce qu’aucun port hawaïen n’était assez grand pour accueillir leur voilier de 15 m. 

La vérification : Plusieurs ports de l’archipel peuvent pourtant accueillir des navires de croisière.

Les appels d’urgence

Leur version : Les navigatrices disposaient d’une balise d’urgence, mais elles ont toutefois dit mardi qu’elles ne l’avaient pas utilisée parce qu’elles ne croyaient pas leur vie en danger. En revanche, elles ont aussi déclaré avoir lancé des signaux d’urgence pendant au moins 98 jours. « Nous savions que nous n’allions pas nous en tirer, a dit Mme Appel. C’est à ce moment que nous avons commencé les appels de détresse. » Les navigatrices prétendent que les six moyens de communication dont elles disposaient étaient tous tombés en panne.

La vérification : La mère de Mme Appel, Joyce, a dit à l’Associated Press avoir communiqué avec la Garde côtière des États-Unis 10 jours après leur départ pour Tahiti. La Garde côtière ne sait rien de cet appel. Elle dit avoir reçu un appel d’un « proche de la famille », un homme, le 19 mai, plusieurs jours avant l’arrivée prévue des femmes. Les navigatrices ont affirmé avoir confié les détails de leur trajet à des amis et à des parents. Elles ont ensuite dit à la Garde côtière n’avoir rien fait de tel. Par ailleurs, les deux femmes disent maintenant avoir communiqué avec quelqu’un sur l’île de Wake, après avoir affirmé que leurs appels étaient restés sans réponse. 

L’attaque des requins-tigres

Leur version : Le récit de l’attaque des requins-tigres suscite aussi l’étonnement. Selon les navigatrices, des bêtes mesurant de six à neuf mètres ont attaqué leur embarcation pendant six heures.

La vérification : Les experts affirment qu’un tel comportement n’a jamais été observé et que les requins-tigres mesurent tout au plus cinq mètres. Le chercheur Kim Holland, de l’Université d’Hawaii, n’a jamais entendu parler d’un requin qui attaquerait un bateau toute la nuit. Il ajoute que les requins-tigres ne sautent pas hors de l’eau et qu’ils n’attaquent pas de manière synchronisée. Les requins pourront se rassembler autour d’une source de nourriture, comme la carcasse d’une baleine, mais M. Holland croit que c’est peu probable dans ce cas-ci, « puisqu’il n’y a rien pour [les] attirer. Je veux dire, c’est simplement une coque inerte ».

L’attitude des secours taiwanais

Leur version : Le 24 octobre, un navire de pêche taiwanais a secouru les navigatrices et alerté les autorités américaines. Les deux femmes disent avoir craint que l’équipage ne leur fasse du mal, même si elles ont tout d’abord déclaré que les matelots avaient été aimables. Leur voilier aurait aussi été endommagé par le navire. « Je pense qu’ils savaient qu’ils endommageaient [le voilier]. Et si nous n’obtenions pas d’aide, le voilier coulerait, et ils auraient […] deux femmes pour faire tout ce dont ils avaient envie », a expliqué Mme Appel.

La vérification : Contacté par l’Associated Press, le capitaine du navire taiwanais a dit avoir reçu un appel d’urgence, puis aperçu quelqu’un qui agitait un objet blanc à bord d’une embarcation à une distance d’environ deux kilomètres. Les deux femmes auraient alors demandé d’utiliser le téléphone satellite du navire et d’être remorquées jusqu’aux îles Midway. Le lendemain, les navigatrices auraient mis fin au remorquage pour appeler la marine américaine. Elles auraient refusé les vivres offerts par l’équipage taiwanais. Les pêcheurs sont repartis après l’arrivée du USS Ashland.

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