AKOS VERBOCZY

Immigration 101

Arrivé de sa Hongrie natale à l’âge de 11 ans, Akos Verboczy a non seulement adopté le Québec, il a aussi adopté l’idée d’un Québec souverain. Dans un récit teinté d’ironie et d’autodérision, il raconte son parcours d’immigrant, son enfance dans le quartier Côte-des-Neiges, son intégration progressive et l’éveil de sa conscience politique. Un témoignage nécessaire, sans drame ni pathos. Entrevue.

QUITTER SON PAYS

Dans Rhapsodie québécoise, Akos Verboczy raconte que c’est en apprenant le prix d’une épilation demi-jambe que sa mère a décidé de quitter Budapest pour le Canada. Cette esthéticienne, à qui le livre est dédié, s’est mise à rêver de ce qu’elle pourrait faire avec cet argent, de la nouvelle vie qu’elle pourrait s’offrir en quittant la Hongrie communiste pour les promesses de la société capitaliste. 

« C’est en écrivant le livre que j’ai réalisé que cette histoire d’immigration était avant tout le récit de ma mère, explique l’auteur. C’était son choix et elle l’a fait pour des raisons bien à elle qui n’avaient rien à voir avec nous. »

IMMIGRER

« Après avoir été attaché politique de la ministre de l’Immigration [à l’époque Diane De Courcy], après le débat sur la Charte, après avoir vu d’un œil extérieur comment l’immigration fonctionnait, j’avais envie de relancer le débat autrement. J’ai été commissaire scolaire à la CSDM, responsable des relations interculturelles, enseignant bénévole de français dans Côte-des-Neiges…

« J’ai mon parcours, j’ai vu ce que c’était, d’être un immigrant francisé qui découvre la culture québécoise “par erreur”, qui grandit dans un milieu immigrant. Je tenais à faire ce portrait de l’immigration en regardant la réalité telle qu’elle est. Et la réalité c’est, entre autres, de pouvoir dire qu’il y a des immigrants à Côte-des-Neiges qui se fichent du fait français. Cette discussion est nécessaire. »

ÊTRE UN IMMIGRANT

Rhapsodie québécoise débute ainsi : « D’où je viens ? Je savais que vous alliez d’emblée me poser la question, c’est tellement votre genre. »

« Je ne vais pas reprocher au monde de me demander : “D’où vient ton nom ?”, assure Akos Verboczy. Moi aussi, je pose la question aux autres. Mais pas dès le début. Apprenons à vivre avec les gens différents et trouvons le bon moment d’aborder ces questions. Je suis chez moi, ici, et j’ai fait autre chose qu’être un immigrant depuis 30 ans. »

LE DÉCLIC

« Tout au long de la rédaction du livre, je me suis posé la question : à quel moment j’ai senti que ça y était, que je m’étais intégré ? Est-ce quand mon professeur M. Nicolas m’a accueilli dans sa classe ? Quand j’ai commencé à faire de l’escrime et que je me suis fait des amis francophones ? Quand je suis entré au cégep de Rosemont ? À l’UQAM ? Ou quand j’ai commencé à m’intéresser à l’actualité politique ? Je crois que toutes ces étapes de ma vie contiennent une partie de la réponse. Et j’aime que le lecteur se pose la question parce que la réponse, c’est qu’il n’y en a pas. Il n’y a pas de recette pour l’intégration des immigrants, c’est ça, ma conclusion. On ne peut pas fabriquer des Québécois en série. On ne peut pas les intégrer à une classe de francisation et leur faire écouter Les Cowboys Fringants en espérant qu’ils deviennent québécois. Ce n’est pas comme ça que ça marche. Il y en a qui disent que ça prend deux générations pour se sentir québécois. Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’il ne faut pas seulement laisser le temps agir. C’est pour ça que j’ai écrit ce livre. Je pense qu’il y a une culture qu’il faut transmettre, une culture qu’il faut défendre. L’État québécois doit mettre cette culture de l’avant, la partager avec les immigrants, et ce, sans tout le temps se sentir mal ou se défendre de ce qu’il est. »

L’ÉCOLE QUÉBÉCOISE

« Je déplore que, durant toutes mes études à l’école secondaire, j’ai eu à lire seulement trois ou quatre livres québécois. Je n’ai pas lu Michel Tremblay ou Anne Hébert. Je découvre Gabrielle Roy aujourd’hui, à 40 ans. Vrai, on peut découvrir une culture par la télévision et le divertissement, mais je pense que c’est l’école qui est centrale dans cette mission-là. Je suis très dur à l’endroit du système d’éducation québécois dans mon livre. Ça vient en partie du fait que je viens d’ailleurs. Un des défis de l’immigration, c’est qu’il y a une partie de son héritage culturel que l’immigrant ne laissera jamais aller. Et dans mon cas, je pense que c’est ma vision de l’école. J’ai été élevé à l’européenne : je devais m’asseoir droit, ne pas me plaindre, être poli, etc. J’ai une vision exigeante de la culture et de l’éducation. Je pense qu’on ne peut pas y arriver sans effort. Peut-être que si je parlais à des Hongrois aujourd’hui, je me sentirais complètement décalé. Mais j’ai en moi la Hongrie des années 70 et 80 et c’est sans doute ce que je risque de transmettre à mes enfants. Ça fait partie de mon identité. »

LE MULTICULTURALISME

« La classe d’accueil dure un an, un an et demi dans la vie d’un enfant. Les gens sont dévoués, on fait des petits miracles. Il y a dans cette étape une valorisation de la culture d’origine qui est nécessaire. Je la décris avec humour dans le livre, mais je ne la critique pas. Ce que je dis, c’est qu’avec le temps, on doit se détacher de ça. Quand l’immigrant entre en classe régulière, on doit chercher le plus grand dénominateur commun. On doit encourager ce qui rassemble et cesser d’insister sur ce qui ramène les jeunes à leur culture d’origine. Ils l’ont déjà dans leur famille. C’est d’ailleurs le bout avec lequel j’étais d’accord avec la Charte : S.V.P., les signes extérieurs, le moins possible. Je sais que c’est compliqué et que ça peut blesser des gens mais, au moins, entendons-nous comme société québécoise qu’à l’école, on laisse tomber ça. »

Rhapsodie québécoise : Itinéraire d’un enfant de la loi 101

Akos Verboczy

Boréal, 240 pages

EXTRAIT

« Donc, je suis arrivé à Montréal à onze ans, j’ai commencé à apprendre le français à ce moment-là. C’est gentil de m’en féliciter, mais je n’avais pas vraiment le choix. Ma religion ? Ouais, comment dire, je suis plutôt juif, mais je n’ai vraiment pas le goût, drette-là, de jaser du conflit israélo-palestinien. Et je ne trouve pas super logique non plus qu’un simple fil – l’érouv’, c’est le mot que vous cherchez – tendu autour d’Outremont puisse changer grand-chose pour le Bon Dieu. Ah, puis désolé, je ne connais pas votre prof de musique du secondaire, réfugié hongrois de 1956. Mais je ne doute pas qu’il était formidable, c’est un trait culturel répandu chez nous. »

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