Science

Le secret est dans l’eau

En 1990, une curieuse étude est parue dans la revue Biological Trace Element Research. Son auteur, Gerhard Schrauzer, de l’Université de Californie à San Diego, affirmait qu’au Texas, les régions où il y avait plus de lithium à l'état naturel dans l’eau potable présentaient moins de suicides, de viols, de meurtres et d’arrestations pour trafic de drogue que celles où il n’y avait pratiquement pas de lithium dans l’eau du robinet.

Le lithium est un métal alcalin présent dans l’eau. Il est utilisé comme médicament pour traiter la maniaco-dépression. Mais pour le biologiste Schrauzer, il s’agit d’abord et avant tout de l’ingrédient miracle des bains thérapeutiques de la ville de Franzensbad (aujourd’hui Františkovy Lázně), en Bohême, où il a grandi dans les années 30 et 40 jusqu’à l’expulsion des Allemands par la Tchécoslovaquie après la Seconde Guerre mondiale.

Depuis, d’autres études, aux quatre coins du monde, ont confirmé les conclusions de M. Schrauzer, mort en 2014.

Des études ont montré que le lithium à faible dose a un effet neuroprotecteur qui, sur le plan épidémiologique, diminue le risque d’alzheimer et de démence.

« La pharmacologie du lithium est très complexe, et nous ne pouvons pas déterminer exactement quelles sont les cibles de cette nouvelle pharmacologie, qui est environ 400 fois plus faible que les doses cliniques utilisées pour les désordres affectifs », explique Claudio Cuello, chercheur de l’Université McGill qui, avec son étudiant au doctorat Edward Wilson, est en train de tester le lithium à faible dose sur des rats de laboratoire utilisés pour la recherche sur l’alzheimer. « Mais il est clair que ces faibles doses atteignent le système nerveux central et qu’elles ont des effets biochimiques clairs et améliorent la performance cognitive chez nos rats de laboratoire. »

DES ESSAIS CLINIQUES

Le professeur Cuello continue ses recherches sur les animaux, cette fois avec des rats dont l’état rappelle les stades plus avancés de l’alzheimer. Il a présenté les résultats sur les stades préliminaires de la maladie lors de différentes congrès, notamment à celui de l’Association Alzheimer (AAIC) à Toronto, à la fin du mois de juillet. « Les résultats ont été si remarquables qu’il y a un intérêt pour des essais cliniques pour les premiers stades de l’alzheimer avec la formulation et les doses utilisées avec nos animaux », dit-il. La molécule qu’il utilise a été conçue par la firme française Medesis.

L’avantage de si faibles doses est qu’elles ne semblent pas produire les effets néfastes, notamment sur le rein, des doses thérapeutiques prises à long terme par les maniaco-dépressifs.

En Autriche, de 4 à 15 % de la variation dans les taux de suicide des différentes régions s’explique par les taux variables de lithium dans l’eau potable, selon Nestor Kapusta, psychiatre de l’Université de Vienne qui a publié une étude sur le sujet en 2013 dans le Journal of Psychiatric Research. « J’étais intrigué par des résultats similaires obtenus au Japon, explique le Dr Kapusta. Au départ, je me suis dit que c’était impossible et je voulais montrer que le lithium à de si faibles doses ne pouvait pas avoir d’effet clinique. Mais plus le temps passe et que des études confirment le phénomène, plus je suis convaincu que c’est vrai. »

LE CERVEAU

Pour ce qui est des effets neuroprotecteurs des faibles doses du lithium, le mécanisme biochimique est relativement bien compris, selon le Dr Kapusta. Dans leurs études, les chercheurs de McGill ont noté des effets anti-inflammatoires et une meilleure formation de neurones dans l’hippocampe, région du cerveau très importante pour la mémoire.

Le printemps dernier, dans la revue Medical Hypothesis, un essai a proposé que de faibles doses de lithium soient ajoutées aux céréales, aux farines et au pain, comme on le fait pour d’autres éléments importants pour la santé, comme les vitamines ou l’acide folique. Mais ce serait prématuré, selon Sivan Mauer, psychiatre à l’Université Tufts à Boston qui a publié en 2014 une méta-analyse de 24 études sur le lithium.

« On voit un effet épidémiologique, mais avant d’agir, il faut faire des études prospectives avec un groupe de contrôle, explique le Dr Mauer. Sans ça, on ne pourra pas avoir un appui large de la communauté médicale, qui demeure très sceptique. Et sans cet appui, il sera impossible de faire face à la levée de boucliers qui accompagnera très certainement des recommandations de ce genre. Pensez à l’opposition généralisée à la fluoration de l’eau. Le problème, c’est qu’il est impossible de breveter le lithium à faible dose. Ça fait que les sociétés pharmaceutiques ne souhaitent pas financer les essais cliniques nécessaires. »

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