SOCIÉTÉ

Un sujet tabou

Moins de 20 % des enseignants gais ou lesbiennes osent s’affirmer comme tels. Alors qu’on a beaucoup parlé de la question de l’homophobie dans les cours d’école, certains ont malheureusement été oubliés, notamment les profs. Un problème auquel plusieurs groupes souhaitent désormais s’attaquer, et ce, d’ici à la prochaine rentrée.

« Nous avons rencontré 40 enseignants et membres du personnel enseignant. Parmi eux, les trois quarts sont "out" dans leur entourage, la moitié en a parlé à la direction, et seulement cinq ou six en ont parlé à leurs élèves », déplore Jacques Pétrin, président du Comité pour la diversité sexuelle et l’identité de genre à la CSQ. De concert avec le GRIS (Groupe de recherche en intervention sociale), son comité travaille ces jours-ci sur un document de réflexion pour les enseignants autour de cette délicate question, visiblement toujours taboue.

« On sent un déchirement chez les enseignants entre leur volonté de servir de modèle et l’impact que cela pourrait avoir sur leur carrière », explique Marie Houzeau, directrice générale du GRIS, qui a entendu des dizaines d’enseignants sur la question.

« À mon avis, la majorité des enseignants ne sont pas "out" auprès de leurs élèves, pour toutes sortes de raisons. C’est un sujet tabou. Pourquoi ? Parce que l’école est toujours en porte-à-faux entre les valeurs transmises et les valeurs familiales », dit-elle, en pesant visiblement ses mots.

« C’est sûr qu’il y a la crainte d’un retour négatif des parents. »

— Marie Houzeau, directrice générale du GRIS

Étrangement, aucun enseignant n’a signalé d’expérience négative en ce sens récemment. N’empêche que les appréhensions demeurent. « On vit dans une société majoritairement hétérosexiste. Pour la plupart des gens qui se découvrent homosexuels, le monde entier est homophobe », explique-t-elle. D’où les craintes.

Il faut dire que l’enseignant, contrairement à d’autres professionnels, se trouve en position d’autorité. « Il doit rendre des comptes à des parents et, du coup, faire face à des préjugés. »

Et même si la profession est syndiquée au Québec, les enseignants continuent de craindre pour leur carrière, poursuit Marie Houzeau. « Parce que la discrimination peut être subtile. Un jeune enseignant sans permanence pourrait se faire mettre en bas de la liste, par exemple. »

DES PRÉJUGÉS TENACES

Christian Paul Carrière a travaillé 20 ans en éducation avant de devenir directeur général de Gai Écoute. Même si les temps ont changé, il croit que, dans l’inconscient collectif, malheureusement, « l’homosexualité demeure beaucoup associée à la pédophilie ».

C’est pourquoi les professeurs d’éducation physique, tout particulièrement, tiennent à garder secrète leur orientation sexuelle. « J’ai connu un entraîneur sportif qui n’a jamais voulu le dire, par crainte de représailles des parents. Parce que les discussions dans les vestiaires peuvent susciter les craintes des parents, voire créer des inconforts chez les jeunes », dit-il.

TRIPLE RÉVÉLATION

Selon le directeur de Gai Écoute, si la majorité des enseignants préfère rester dans le placard, c’est aussi parce qu’ils n’ont pas qu’un coming out à faire, mais bien trois : auprès des collègues, des enfants et des parents. « Ce sont trois clientèles différentes qui peuvent réagir de trois manières différentes », explique Christian Paul Carrière.

Du temps où il était enseignant, il n’a d’ailleurs jamais rien dévoilé.

« J’avais peur de vivre de l’homophobie de la part de mes élèves »

— Christian Paul Carrière, directeur de Gai Écoute

Même si les choses ont évolué depuis (c’était dans les années 90), il comprend que les hommes de sa génération continuent de vivre dans l’ombre. « C’est une question de vécu. Probablement que, pour la génération née entre 1940 et 1960, c’est plus difficile. Pour la nouvelle génération, qui vit plus ouvertement, c’est peut-être plus simple. »

Pas nécessairement, toutefois, comme en témoigne une enquête réalisée en 2008 par Line Chamberland, professeure associée à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF). Dans un article (« Stress et vulnérabilité professionnelle chez les enseignantes lesbiennes »), elle démontre les difficultés que vivent encore les enseignantes au quotidien, des remarques désobligeantes de leurs collègues aux commentaires homophobes des parents.

Homophobe, donc, le monde de l’enseignement ? « Pas au collégial. Mais au primaire et au secondaire, oui, cela demeure un milieu homophobe », répond Line Chamberland. Et pourquoi donc ? « À cause de la dynamique éducative, croit-elle. À cause du rôle éducatif confié aux enseignants. Souvent, ils n’osent pas en parler, ne savent pas comment en parler, et ils ont peur des retombées. Ils ne se sentent pas soutenus, parce qu’ils manquent d’outils et de soutien. » D’où le tabou.

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