Enseignants homosexuels

La « bombe »

Il y a 14 ans, quand Dominique Côté a annoncé pour la première fois à ses élèves qu’il n’avait pas d’amoureuse, mais bien – nuance – un amoureux, la nouvelle est tombée « comme une bombe ». Aujourd’hui ? « Tout le monde s’en fout ! », raconte-t-il en riant.

Il faut dire que, pendant plusieurs années, Dominique Côté n’a pas beaucoup parlé de sa vie privée en classe. Pendant plus de cinq ans, en fait, il a gardé le silence. Pourquoi ? Parce qu’il était célibataire. Mais ce silence le dérangeait. « Les enfants me demandaient tout le temps : "As-tu une amoureuse ?" Tout le temps, tout le temps », se souvient l’enseignant, rencontré la semaine dernière dans sa classe de troisième année, sur le Plateau Mont-Royal. « Il faut dire que, à cet âge, les élèves sont très curieux, et veulent tout savoir : où tu habites (en première, ils pensent que tu vis dans l’école !), avec qui, etc. Je disais simplement que non, je n’avais pas d’amoureuse. Je ne me voyais pas dire : j’aime mieux les garçons… »

N’empêche. « Je n’avais pas le goût de faire un exposé sur ma vie, dit-il, mais toutes mes collègues, elles, disent qu’elles sont allées ici ou là avec leur amoureux. Je trouvais ça plate, moi, de ne pas parler. »

« OMG MON PROF EST GAI ! »

C’est quand il a rencontré son conjoint, il y a 14 ans, donc, qu’il a finalement fait son coming out. « Et ç’a été la bombe de l’année dans la classe. Pas forcément négativement, mais les élèves avaient énormément de questions, se souvient-il. Ils étaient hyper intéressés. »

C’était presque trop. Des enfants l’arrêtaient carrément dans le couloir (« Je ne voulais pas que ça fasse phénomène de cirque ! »), mais, en bon pédagogue, Dominique Côté a pris le temps de répondre à (presque) tout : il s’appelle comment, il est grand comment, est-ce que vous allez avoir des bébés ? « Si les questions étaient trop personnelles, je ne répondais pas. » Un exemple ? « On m’a déjà demandé combien je pesais ! » Et non, il n’a pas répondu. C’est qu’il y a des limites à la transparence, quand même…

SERVIR DE MODÈLE

Dominique Côté sait qu’il est un des rares enseignants à parler aussi ouvertement de son orientation sexuelle. « J’ai rencontré trois enseignants gais qui sont toujours très surpris que j’en parle. Mais je ne suis pas "le prof gai". Je suis le prof qui parle de son chum Edward. Je ne les juge pas (de ne rien dire), mais je ne comprends pas. »

« Les modèles sont tellement importants à cet âge. Si tu te caches, l’impact peut être tellement négatif ! »

— Dominique Côté, enseignant de 3e année

Il voit d’ailleurs un intérêt pédagogique à son authenticité : « J’avais le goût de dire à mes élèves qu’ils ne seront pas juste entourés d’hétéros, dans leur vie. Peut-être que j’ai aidé légèrement un enfant, qui sait ? » La question de l’importance des modèles revient d’ailleurs beaucoup dans la discussion. « Je trouve qu’on a une petite responsabilité, dit-il. Ces enfants qui te prennent un peu comme un modèle, s’ils voient que ce prof-là qu’ils aiment a un chum et qu’il est heureux, c’est cool. On leur parle aussi de racisme, de féminisme… C’est tellement important d’ouvrir leurs esprits ! »

Une responsabilité de se dévoiler ? La question se pose. « Quand même, répond-il. Quand j’étais jeune, au fond du Lac-Saint-Jean, si un prof ou une vedette avait dit qu’il était gai, ça aurait changé beaucoup de choses. Oui, ça aurait vraiment fait une différence. Qui étaient mes modèles, à moi ? Elton John ? Pas sûr… », glisse-t-il en riant.

De toute sa carrière, seules deux familles ont mal réagi. Et la direction a « acheté la paix » en changeant l’élève de classe. « Ça, c’est ce que je sais. »

Du côté des enfants ? Jamais. Outre la saine curiosité, rien. Jamais le moindre commentaire douteux. Mieux : aujourd’hui, quand il parle de son Edward à ses nouveaux élèves à la rentrée, « il n’y a plus aucune réaction », constate l’enseignant.

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